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LES CÉSARS.

six cents chevaliers, quatre cents sénateurs, des femmes de grande famille sont appareillés pour l’arène ; d’autres chantent, jouent de la flûte, font les bouffons. Le monde vaincu va contempler là les descendans de ses vainqueurs, rire des lazzis d’un Fabius ou des grandes tapes que les Mamercus se donnent[1]. La vertu de Thraséa joue un rôle dans les jeux juvénaux ; la noblesse d’une Élia Catulla vient, à quatre-vingts ans, danser sur le théâtre ; la bonne renommée d’un chevalier romain est à cheval sur un éléphant[2]. Les pantomimes, jusque-là adorés des sénateurs et châtiés par le sénat, objets des sévérités officielles et des admirations privées, expulsés périodiquement de l’Italie et y revenant toujours, se vengent du dédain de la vieille Rome en lui tendant la main pour monter sur les tréteaux ; l’ami de Néron, l’histrion Pâris que plus tard il fera mourir par jalousie d’artiste, aujourd’hui, afin de gagner ses éperons de citoyen, se fait donner par son prince tous les patriciens pour camarades[3].

Ainsi les haines s’accumulent. L’aristocratie, qui d’elle-même serait montée volontiers sur le théâtre, garde rancune à Néron de l’y avoir fait monter de force. Néron voit s’élever son grand et sérieux ennemi. Le stoïcisme a un peu retrempé le vieil esprit romain. Il se fait une alliance entre la philosophie et le patriciat, entre la vieille Rome et la Grèce nouvelle, alliance défensive contre l’esprit impérial. Le sénat, qui garde depuis l’avénement de Néron quelque liberté de délibération, laisse cette opposition se trahir ; le jurisconsulte Cassius, un de ces hommes dont il semblerait que l’espèce n’eût pas dû survivre à la bataille de Philippes, conserve chez lui l’image du meurtrier de César, son aïeul, avec cette inscription : « À notre chef[4]. » D’un autre côté, au milieu des voluptés de Rome, des hommes, des femmes se rassemblent dans les jardins pour entendre le cynique Démétrius, cet homme hardi qui répondait à Néron : « Tu me menaces de la mort, la nature te rend ta menace ; » qui, en plein gymnase, en face du sénat, des chevaliers et de César, tonnait contre les bains, le luxe, toutes les délicatesses de la vie romaine. Et tandis que toute la domesticité militaire du palais, les « centurions aux barbes de boucs, la jeunesse musculeuse du prétoire, » s’insurge

  1. Qui sedet…
    Planipedes audit Fabios, ridere potest qui
    Mamercorum alapas
    .

    (Juvénal, VI, 189.)

  2. Notissimus eques romanus elephanto insedit. (Suét., 12.)
  3. V. Tacite, Annal., XIV, 14, 15, 20, XV, 32. — Suét., In Ner., 11, 12. — Sénèq., ep. 100.
  4. Duci partium.