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contre la philosophie, raille le manteau du stoïque, « vend pour cent as cent de ces docteurs grecs[1], » le stoïcisme, qui est politique de sa nature et pousse le sage vers les affaires, quoi que puisse faire le prudent Sénèque pour l’en écarter, le stoïcisme se constitue en parti.

Ce parti a déjà son chef et son futur empereur. Un homme allié à la maison des Césars, d’un extérieur sévère, d’une chaste simplicité dans sa maison, entouré de philosophes, vivant dans la retraite et d’autant plus remarqué, Rubellius Plautus, est déjà signalé à Néron comme un homme (écoutez bien cette parole) « qui ne feint pas même le goût de l’oisiveté ; » tant il fallait qu’on fût inutile, si l’on ne voulait passer pour dangereux. Ses amis se croient déjà si forts, qu’il suffit d’une comète et d’un éclair (signes de révolution, disait le peuple) pour faire parler tout haut de son règne et pour le perdre. Pourtant il ne mourut pas sur l’heure. On l’avertit de se soustraire à la calomnie, de se sacrifier au repos public ; on lui rappela qu’il avait en Asie de beaux biens où il pourrait vivre tranquille sans craindre amis ni délateurs ; on l’éloigna doucement sans oser même l’exiler, tant on était loin encore de la tyrannie emportée des premiers empereurs, tant la clémence était encore populaire.

Mais quand la mort de Burrhus, hâtée par Néron, le fit enfin sortir de page ; quand l’homme selon son cœur, Tigellin, fut devenu préfet du prétoire ; quand Sénèque, au milieu des embrassemens de son maître qui lui demandait de ne pas se retirer, n’en comprenant que mieux la nécessité de le faire, s’éloigna de Rome pour aller mûrir sa philosophie dans une austère solitude d’où sont sortis ses ouvrages les plus graves, ses lettres à Lucilius surtout ; enfin quand Néron fut libre de tous ces obstacles, le génie impérial se montra dans toute sa nudité. Deux exilés faisaient peur à Néron : à Marseille, un Sylla, nom bien déchu pourtant ; en Asie, Plautus, grave et calme au milieu des philosophes ; l’un redouté comme indolent et pauvre, l’autre comme riche et comme penseur. Des assassins partirent de Rome, au bout de six jours furent à Marseille au souper de Sylla et le tuèrent. La mort de Plautus fut plus remarquable. Il était populaire en Asie, soutenu à Rome par le parti stoïque qui l’avait fait prévenir, appuyé par la sympathie du général victorieux Corbulon. Cependant Néron n’envoya contre lui qu’un centurion et soixante hommes. Aussi y eut-il une velléité de résistance. « Il fallait repousser cette poignée d’hommes ! Avant que César fût averti, et

  1. Et centum Græcos nudo centûsse licetur. (Perse.)