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LES CÉSARS.

moins prouvé de tous ceux de Néron, est celui de tous qui l’a rendu le plus impopulaire.

Que veut donc le peuple ? Les superstitions les plus rares et les plus oubliées sont remises en vigueur pour expier les souillures de Rome, pour que le ciel lui pardonne le crime de Néron. Le livre poudreux des sibylles est consulté par les prêtres ; les lectisternes et les veilles sacrées, la procession des matrones qui va chercher en pompe de l’eau de mer pour en asperger la statue de Junon, tout cela ne lui suffit pas. Le sang, et le sang humain, est pour l’antiquité le grand moyen d’expiation. Rome, qui se vante d’avoir aboli les sacrifices humains par toute la terre, n’en a pas moins conservé l’usage, au moment des grands dangers, d’enterrer vifs un Gaulois et une Gauloise, un Grec et une Grecque ; et Néron, chaque fois qu’une comète paraît au ciel, par le conseil de son astrologue, cherche quelque grande victime pour le bourreau. Que le sang coule donc, et que Rome soit purifiée, et que le peuple se taise, et que Néron demeure décidément innocent !

Qu’était alors le christianisme ? Nous l’avons dit, un fait légal et public, mal jugé, mais évident, mal connu, mais connu pourtant. Il y avait des églises jusqu’en Espagne d’un côté, jusque dans le fond de l’Égypte de l’autre. Tacite, en quelques lignes, lui donne un nom propre, une date, une origine (et il ne se trompe sur rien de tout cela), une réputation enfin, bonne ou mauvaise, mais une réputation quelconque, auprès du peuple. Suétone, presque contemporain de Tacite, en parle de même. — Qu’est-ce aussi que ces superstitions étrangères dont Claude déplorait l’envahissement[1], que le jurisconsulte Cassius se plaignait de trouver répandues parmi les esclaves, dont fut accusée la noble Pomponia Grecina, « femme grave, sainte et respectée, lorsque, remise au jugement de son mari, celui-ci, selon l’ancienne coutume, la jugea criminellement en présence de ses proches, et la déclara non coupable ? » — Il est vrai qu’un peu plus tard, la persécution sanglante ayant commencé, le christianisme se cacha, et le peuple put l’oublier ; ainsi Tacite et Suétone, qui savaient son histoire, purent le croire mort ; ainsi Plutarque, qui vivait avec ses dieux et ses philosophes de Grèce, sans beaucoup fouiller les archives romaines, put ignorer son existence ; ainsi la masse des païens put le confondre avec le judaïsme. Remarquez-le cependant, le pouvoir connaissait le christianisme, car Pline, écrivant à Trajan, lui

  1. Quia exteræ superstitiones valescant. (Tacit., Ann., XI, 15.