Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/854

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
850
REVUE DES DEUX MONDES.

devenus des crimes capitaux. — Mais Rome, sa patrie, est-elle donc mieux traitée ? Chaque courrier d’Helius apporte la nouvelle d’une exécution. Néron, de son côté, fait de temps en temps mourir quelqu’un des bannis qu’il rencontre, ou des suspects qu’il a emmenés avec lui. Deux frères meurent, dont l’union fraternelle parut au meurtrier de Britannicus une conspiration patente.

À son retour de Grèce, Néron manqua périr dans une tempête. Un instant, en Italie, on crut à son naufrage, et on s’en réjouit, joie dont il sut bien se venger. Cependant le sénat, tout en tremblant de le voir revenir, le rappelait de toute l’effusion de son dévouement, et ordonnait pour lui plus de fêtes qu’il n’y a de jours dans l’année. Naples l’oisive, comme l’appelait Horace, la ville de ses débuts, le reçoit la première. À Rome, après un étalage de dix-huit cents couronnes qu’il a rapportées de Grèce, sur le char triomphal d’Auguste, à côté du musicien Diodore, on voit venir Néron en chlamyde semée d’étoiles d’or, l’olivier olympique sur la tête, et dans sa main droite le laurier des jeux pythiens. Après lui sa claque théâtrale, ses Augustani, au nombre de cinq mille, à la brillante parure et aux cheveux parfumés, qui se proclament les soldats de son triomphe. Une arcade du grand cirque est abattue pour son passage ; à droite et à gauche des victimes sont immolées à sa divinité ; la terre est semée de safran ; on jette sur sa route des oiseaux, des fleurs, des rubans de pourpre, des dragées ; le sénat, les chevaliers, le peuple, lui acclament en mesure : « Vive le vainqueur d’Olympie ! le vainqueur des jeux pythiens ! César Néron nouvel Hercule ! César Néron nouvel Apollon ! seul, dans tous les siècles, il a vaincu dans tous les jeux ! »

C’était bien un triomphe ! Une dernière conspiration avait été découverte et punie ; le temple de Janus était fermé ; Corbulon, qui avait vaincu l’Orient, appelé en Grèce par de flatteuses paroles, avait reçu l’ordre de se donner la mort, et s’était tué, regrettant sa fidélité trop confiante, et disant : Je l’ai bien mérité ! Que pouvait encore redouter Néron ? Quel autre César avait eu Rome aussi basse sous ses pieds ? Quel autre avait placé plus haut sur le trône et sur l’autel ses passions, ses folies ? Qu’était le triste et vieux Tibère, homme étranger à toutes les joies du pouvoir ; qu’était le grossier Caligula qui, après avoir eu trois ans au plus pour jouer quelques farces royales et guerrières, s’était laissé misérablement égorger dans une salle de bain ; qu’était l’imbécile Claude, machine à diplômes et à jugemens, auprès du virtuose, de l’orateur, du poète, du lutteur, de l’universel Néron, depuis douze ans maître du monde ? Si quelques