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n’ont jamais su tout ce qu’il leur était permis de faire. » L’art a su le servir d’une façon si miraculeuse ! non, « ce qu’il a ordonné ne peut être impossible[1] » ; et un Grec homme d’esprit, qui lui a promis de s’élever sur des ailes, se fait nourrir dans le palais en attendant qu’il devienne oiseau[2].

Les merveilles de son palais ne suffisent plus à Néron. Que Rome s’étende jusqu’à l’embouchure du Tibre, et qu’un vaste canal mène les flots de la mer battre les vieilles murailles de Servius Tullius ; qu’une piscine immense, couverte d’une voûte, et bordée de portiques, s’étende de Misène au lac Avernes, et serve de réservoir aux eaux chaudes de Baya ; que de là, un canal de 160 milles (53 lieues), assez large pour le passage de deux grands navires, aille, à travers des terres arides, de hautes montagnes et le sol détrempé des marais Pontins, joindre le port d’Ostie : entreprise ruineuse dont la postérité reconnaîtra à peine les vestiges. — César, comme dit Suétone, a une passion, mais une passion étourdie, de gloire et d’immortalité. Il a égalé Apollon par son chant, le Soleil par son talent à conduire un char ; il veut être Hercule, et un lion est préparé (bien préparé sans doute), qu’aux premiers jeux de l’arène il doit, seul et sans armes, assommer de sa massue ou étouffer en ses bras.

Quant aux dieux ses frères, il n’est pas de jour où son orgueil ne les insulte, où sa faiblesse ne tremble devant eux. Au scandale de Rome, et au risque de la fièvre, il se baigne dans l’eau sacrée de la fontaine Marcia ; — mais il redoute les songes, les présages le rendent pâle. Il a long-temps adoré la déesse Syrienne ; — mais elle tombe en disgrace, il la souille de son urine. Il profane l’oracle de Delphes, viole une vestale ; — mais une petite statue de jeune fille, talisman donné par un homme du peuple, a remplacé Astarté disgraciée, et, comme peu après une conspiration s’est découverte, Néron fait d’elle le plus grand de ses dieux, lui sacrifie trois fois par jour, et lui demande la science de l’avenir.

Mais ce que l’impiété ne lui fera pas oublier, ce que la superstition ne pourra écarter de lui, c’est l’ombre d’Agrippine qui le poursuit avec les fouets et les torches des furies. Aux portes d’Athènes le souvenir d’Oreste et des Euménides, aux portes de Lacédémone le nom de l’austère Lycurgue l’a arrêté ; à Delphes, l’oracle l’a comparé aux Alcméon et aux Oreste meurtriers de leur mère, et, dans sa colère, il a confisqué les terres du dieu, fermé l’ouverture souterraine

  1. Nil non fieri posse quod jussisset.
  2. Dion. Chrysost., Orat., 21.