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LES CÉSARS.

demeure long-temps sans mouvement et sans voix. Revenu à lui, il se frappe la tête ; sa nourrice veut en vain le consoler : « c’en est fait de lui. Il lui arrive ce qui n’est arrivé à nul autre prince ; il perd son empire avant de mourir. » Un César s’attendait bien à être assassiné, non pas à être détrôné. — Je ne sais quelle nouvelle plus favorable lui est apportée. Son ame futile a secoué toute sa peur ; il est à table ; il chante des couplets contre Vindex et Galba ; il accompagne de ses gestes le son d’une musique folâtre. Il se fait porter au théâtre en cachette, et envoie dire à un acteur qu’on applaudissait : « Tu abuses de mon absence ! »

L’ivresse impériale l’a repris. « Tous les généraux conspirent avec Galba ; il va les envoyer tous tuer, il va faire mourir tous les exilés, égorger tout ce qu’il y a de Gaulois dans Rome, mettre le feu à la cité, empoisonner le sénat dans un festin, et, si le peuple y trouve à redire, lâcher sur le peuple les bêtes du cirque, dignes auxiliaires de sa police. » Extravagances d’un poltron enivré ? fables inventées par la colère du peuple ? voilà du moins quels projets on prêta à Néron. — Mais, avant tout, il faut la guerre : mot étrange pour Néron qui n’a jamais guerroyé que de loin. Le sénat a déclaré Galba ennemi public, sauf à rendre plus tard le même édit contre Néron. César rappelle ses troupes prêtes à partir pour le Caucase, forme une légion de soldats de marine, ses gardiens de Misène et les complices de la mort d’Agrippine. Il est magnifique envers les dieux ; il leur voue, s’il est vainqueur, un spectacle où il se fera entendre à eux sur l’orgue, la flûte et la cornemuse, et terminera en dansant le ballet de Turnus. Ses préparatifs se poussent à la hâte. Des chariots sont déjà faits pour porter ses orgues ; les courtisanes du palais coupent leurs cheveux, s’arment de haches et de boucliers, forment une légion d’amazones. Lui-même, après avoir, en signe de guerre, arboré les faisceaux, sortant de table appuyé sur l’épaule de ses amis, l’ame attendrie par les joies du festin, ne rêve plus que le drame larmoyant, au lieu du mélodrame sanglant de la veille : « Une fois arrivé dans la province, en présence de l’ennemi, il s’avancera sans armes, et, sans dire une parole, il se mettra à pleurer. Tous seront touchés, on s’embrassera, et l’on chantera un hymne de triomphe qu’il fait déjà composer ! »

Cependant Rome murmure ; une levée se fait ; on ne peut enrôler que des esclaves. Néron exige d’énormes impôts ; on refuse de payer. — « Qu’il aille, dit le peuple, faire rendre gorge à ses délateurs ! » Le peuple souffre de la disette, pendant qu’un navire d’Alexandrie ap-