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LES CÉSARS.

mal, une partie de sa cavalerie fut au moment de l’abandonner. Des esclaves, apostés par un affranchi de Néron, furent surpris prêts à le poignarder. Quand il sut la mort de Vindex, il se retira dans une ville d’Espagne, écrivit à Virginius, puis songea à se donner la mort. Le mouvement soulevé contre Néron était donc étouffé comme de lui-même, et par cette seule terreur que la puissance impériale inspirait. — Mais Néron ne le sait pas : il vient d’apprendre les défections nouvelles qui ont suivi celle de Galba ; il se lève au milieu du repas, renverse la table, brise deux coupes de cristal qu’il aimait ; Rome, les provinces et l’armée lui manquent à la fois ; il demande du poison à Locuste, se retire dans une villa, et pense à fuir.

L’Orient peut lui servir de refuge. Les astrologues, en lui annonçant sa chute dans Rome, lui ont promis l’empire de l’Asie. Des Juifs flatteurs ont fait de lui leur messie ; ce peuple, depuis un demi-siècle que les prophéties sont accomplies, partout en quête de son Christ, applique à Néron, comme plus tard à Vespasien, ces oracles répandus, selon Tacite, dans tout l’Orient, et lui promet la royauté de Jérusalem[1]. Et ne serait-il plus roi, il sera encore grand artiste : la lyre, ornement de sa grandeur, sera la ressource de sa disgrace ; il ira chanter à Alexandrie (remarquez cet attrait pour l’Égypte commun à Caligula, à Germanicus, à Vespasien) ; « le virtuose ne trouve pas de terre qui ne le nourrisse[2]. » — Mais la lâcheté de Néron enhardit chacun à lui résister. Les officiers du prétoire refusent de le suivre dans sa fuite ; l’un d’eux même lui dit : « Est-il donc si dur de mourir[3] ? » Il ira demander aux Parthes un asile, il ira se jeter aux pieds de Galba ; il ira au Forum en habits de deuil ; du haut des rostres, il implorera la pitié du peuple, demandant comme retraite la préfecture de l’Égypte. Il ne peut se faire à envisager la mort, et il a déjà dans son portefeuille une harangue toute prête à adresser au peuple. Mais non ; la populace, avant qu’il ne fut au Forum, l’aurait déchiré. Que fera-t-il donc ?

Tout pourtant demeure dans l’ordre accoutumé ; les prétoriens veillent à sa porte. Après une longue agitation, Néron s’est assoupi ; au milieu de la nuit, il se réveille ; les prétoriens ne sont plus à leur poste ! Il envoie chez ses amis ; nul ne répond : Tigellin l’a abandonné ! Suivi de quelques affranchis, il va frapper de porte en porte ; les portes demeurent fermées. Il revient dans sa chambre ; les offi-

  1. Suét., In Ner., 40. — id., In Vesp. — Josèphe. — Tacit., Hist., V.
  2. τὸ τέχνιον πᾶσα γαια τρέφει. (Suét., ibid.)
  3. Usque adeo ne mori miserum est ? (Virg.)