Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/879

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
875
LETTRES POLITIQUES.

tout-à-fait à la mode de votre côté de l’eau (on your side of the water). Or, de même que mes phrases seront souvent anglaises, et que je ne pourrai les tourner en agréables gallicismes, il me sera bien difficile de me conformer à tous les ménagemens que vous prenez, entre vous, pour vous dire vos opinions. J’ai appris, tout comme un autre, quand je résidais à Paris, la multitude de choses convenues qui forment le fonds de votre langue politique, et qui sont en quelque sorte le chiffre à l’aide duquel on peut lire vos journaux ; mais je les ai déjà oubliées pour la plupart, et il m’arrivera quelquefois de me tromper, surtout quand je parlerai de vos affaires intérieures. Il vous suffira alors simplement de me rectifier, et je vous autorise de tout mon cœur, mon cher monsieur, à remplacer mes expressions par d’autres qui vous sembleront plus convenables. Par exemple, s’il m’arrive de vous annoncer que nous avons appris à Londres que tel personnage songe à pourvoir un sien parent de quelque emploi d’importance, vous serez maître de dire que le bien de l’état a exigé cette nomination, ou si vous voulez la critiquer à la manière gouvernementale, que les vues politiques qui ont motivé la nomination et l’élévation dudit parent, vous semblent contraires au système politique qu’on veut établir, etc. Enfin, monsieur, je vous laisse libre de revêtir mes idées d’un costume décent, de circonstance, et de les traiter comme on traite au sérail les chiens de chrétiens envoyés par nos augustes souverains à l’audience du grand-seigneur, qu’on revêt de caftans, et à qui l’on fait chausser des babouches par-dessus leurs bottes et leur costume d’Europe. Et comme nous voilà à Constantinople, je vais vous parler tout de suite des affaires de l’Orient, si vous n’en avez déjà trop entendu sur ce chapitre.

Les dernières nouvelles d’Orient étaient assez rassurantes ; je ne parle pas de celles que vous avez lues sans doute dans les journaux anglais qui regardaient la guerre entre le pacha d’Égypte et la Perse comme imminente, attendu la prise de Bagdad et de Bassorah par les lieutenans d’Ali-Pacha. Nos journalistes n’auraient eu qu’à ouvrir les contes des Mille et une Nuits, pour voir que le commandeur des croyans passait déjà, en ce temps-là, les nuits à rôder dans les rues de Bagdad, pour y surveiller l’exécution de ses volontés. L’affaire serait donc infiniment plus grave si les lieutenans du vice-roi d’Égypte s’étaient emparés de deux villes considérables qui appartiennent, non au schah de Perse, mais au sultan, ce qui serait une invasion à l’Irak-Araby. Heureusement, il est à peu près certain que ces nouvelles, déjà si peu géographiques, ne se confirmeront pas.