Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/897

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
893
REVUE. — CHRONIQUE.

dont on a garroté en quelque sorte le mérite, en les plaçant où ils sont, avons-nous donc dans les deux départemens de l’intérieur et de l’extérieur de quoi faire face à l’affaire du 12 mai et aux affaires d’Orient ?

Pour l’Orient, nous en avons dit assez. Quant à notre tranquillité intérieure, il suffit de lire le rapport fait à la chambre des pairs par M. Mérilhou. Ce rapport, qui rappelle celui de M. de Marchangy, révèle toute notre situation. La conspiration permanente qui a fait couler le sang à Paris et à Lyon, qui a lancé des assassins contre la personne du roi, n’a fait qu’ajouter un acte à la terrible tragédie qui se joue depuis neuf ans. Le plan, les moyens, le but du complot, indiquent une audace, une activité et une persévérance sans exemple. Les idées insensées du parti républicain ne changent pas ; mais ses moyens d’attaque et d’organisation se perfectionnent. Il faut donc que les moyens de défense et de police se perfectionnent également, ou l’ordre social pourrait être exposé à périr. Mais nous craignons que M. Duchâtel, qui a tant de qualités, n’ait pas toutes celles qu’il faudrait pour se faire redouter par des factions aussi exaspérées.

Nous espérons que toute la France lira le rapport de M. Mérilhou. Elle y puisera des enseignemens utiles ; elle saura ce qu’elle a à risquer en abandonnant le pouvoir, ou en permettant que le pouvoir s’affaiblisse et s’abandonne. Elle verra que tout se lie dans les crimes politiques qui ont été commis depuis neuf ans, et que ce n’est pas seulement au gouvernement qu’elle s’est choisi qu’en veulent les factions qui ont recours aux armes, mais à la société tout entière. Qu’on lise la lettre trouvée chez un des insurgés mortellement blessé dans la révolte, et qu’on médite sur l’esprit de la secte dont les membres s’écrivent ainsi : « Hâte toi, mon cher ami ; j’ai appris avec plaisir qu’enfin tu tournais tes regards du côté du soleil levant, du côté de cet astre du monde, lumière des intelligences dont, pour le moment, j’ai l’honneur d’être un sublime rayon. Hâte-toi, si tu ne veux pas le voir échancrer sans assister à la fête, car tout me dit qu’il se prépare dans les entrailles de la cité un jour de jubilation et de fièvre où nous pourrons nous enivrer du parfum de la poudre à canon, de l’harmonie du boulet, et de la conduite extra-muros de cette famille royale que nous enverrons probablement faire son tour de France pour lui apprendre à vivre. Ce soir les magasins d’armes antiques étaient ou plutôt sont gardés par des compagnies de la ligne ; des rassemblemens se forment, et de sourdes rumeurs, dans lesquelles on entend par moment les cris de liberté et de patriotisme, de république, d’harmonie fourriériste, circulent… Enfin je te dis qu’il y a quelque chose de prêt à éclore… » Ce fragment dit assez le but des factions. En effet, l’association des familles ou des saisons, qui a fourni les insurgés du 12 mai, et dont les dispositions militaires, assez bien combinées, font supposer un effectif plus considérable qu’on ne l’a dit ; cette association a laissé derrière elle toutes les nuances républicaines ; les partisans de la république fédérative et de la convention sont dépassés, et Robespierre lui-même serait un suspect et un modéré dans la réunion d’hommes qui s’est constituée en familles et en pelotons sous des chefs mystérieux. D’après les renseignemens fournis par les accusés eux-mêmes, d’après les écrits saisis dans leurs mains, les principes de l’association sont maintenant établis, et le rapport les expose tous dans le plus grand détail. On y jure haine à tous les rois et à tous les aristocrates, et on définit expressément comme aristocrates tous les riches qui constituent, disent les statuts, une ari-