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SALON DE 1839.

nos 1896 et 1897. Mignon regrettant sa patrie et Mignon aspirant au ciel. La couleur en est terreuse et désagréable. Le sujet demandait peut-être une couleur triste, mais non pas matte. La robe de Mignon est sale, ce qui n’est pas nécessaire. Jadis le goût du linge sale a été poussé fort loin par Greuze, qui prétendait ainsi faire ressortir la transparence des chairs. Ce n’est pas sur ce point qu’il faut l’imiter, surtout lorsqu’on n’imite pas ses suaves carnations. Les têtes, d’ailleurs, sont nobles et belles, les attitudes simples et vraies. Peut-être, dans le no 1897, la pose de la figure laisse-t-elle quelque chose à désirer sous le rapport du naturel, ou plutôt la vérité n’est-elle pas rendue assez évidente, assez probable. Dans le no 1896, les pieds de la Mignon sont d’un type vulgaire, d’ailleurs mal attachés aux chevilles. Il est évident que M. Scheffer n’a pas choisi son modèle. Toutes les dames à jolis pieds, et il y en a tant à Paris, se récrient devant ces chevilles osseuses. Enfin j’ajouterai que l’âge de Mignon n’est pas bien caractérisé. C’était une immense difficulté que je n’ai vu surmonter qu’une fois. Sir Thomas Lawrence a prouvé, par le portrait de Master Lambton, qu’on pouvait montrer le développement précoce et presque maladif de l’intelligence sous des formes enfantines.

Je retrouve l’ancienne couleur de M. Scheffer, dans son Roi de Thulé tenant dans ses mains la coupe mystérieuse à laquelle sa vie est attachée, no 1899. Pour moi, l’expression de cette tête est aussi parfaite dans son genre que l’est celle de Marguerite. Il était impossible de mieux faire comprendre cet attendrissement d’un vieillard dans le cœur duquel se pressent des souvenirs d’un autre âge. Il y a dans cette noble figure quelque chose de si bon, de si tendre et de si triste, qu’il est impossible de la contempler sans une vive émotion. Dans l’extrême vieillesse, la douleur devient presque aussi extérieure que dans l’enfance ; mais que ces rides et que ces cheveux blancs ajoutent à l’impression qu’elle produit ! On sent que toutes les peines d’une longue vie se réunissent en une seule douleur. Je dois avouer que cet excellent tableau me paraît trop également terminé dans tous ses détails, que le page dans le fond est inutile, que la barbe, touchée poil à poil, n’a pas la légèreté de la nature. Ce ne sont pas des cheveux soyeux qu’un souffle peut déranger, c’est un paquet de cordelettes blanches. Mais il faut avoir pris son parti de faire de la critique pour s’arrêter à ces remarques, en contemplant cette belle page.

Il me reste à parler d’un dernier tableau de M. Scheffer, le Christ au jardin des Oliviers, no 1895. Sa couleur, moins bonne que celle