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SALON DE 1839.

Une des plus grandes difficultés de nos batailles modernes, pour le peintre s’entend, c’est la distance où se trouvent les combattans les uns des autres. Impossible aujourd’hui de représenter deux armées à la fois. Dans un siége où l’on se bat de près, on se cache, et c’est à peine si l’on aperçoit son ennemi. Quelques fumées, quelques lueurs, dans les tableaux de M. Vernet, prouvent que les Arabes se défendent encore, mais on n’en voit pas disputer la brèche. Il faut que le spectateur raisonne pour se rappeler le danger. Si cette absence d’ennemis est ici un défaut, le contraire serait un mensonge, et M. Vernet a trop de goût pour sacrifier la vérité historique aux motifs heureux qu’auraient pu lui fournir les costumes pittoresques et les figures caractéristiques des Arabes. J’allais oublier l’Attaque du Marché. Aux qualités qu’on remarque dans les tableaux précédens, se joint un bien meilleur coloris.

Il y a beaucoup de mouvement, mais assez peu de vérité, je le crains, dans la Chasse aux Lions du même auteur, no 2054. Cet Arabe renversé sous son cheval et qui ajuste froidement son pistolet, ce chameau qui semble se mettre en devoir de manger la lionne, ces chevaux qui ne montrent leur effroi qu’en ouvrant les naseaux, ne me plaisent guère, et quand je me rappelle la charmante Chasse aux Sangliers qu’on a admirée dans une des dernières expositions, je soupçonne que M. Vernet a vu plus de chasses aux sangliers que de chasses aux lions.

Je connaissais, par une gravure, son Agar chassée par Abraham, no 2055, et, en voyant le tableau, je trouve que la gravure n’en a rendu ni la couleur brillante, ni l’effet original. La tête d’Agar est d’un beau type ; on a dit qu’elle rappelait la Judith du même artiste, mais elle lui est préférable. Son expression est sentie : c’est une esclave révoltée qui se sépare de son maître en lui lançant un regard où il y a du mépris et un indomptable courage. Ce caractère, qui n’est point celui qu’on a donné jusqu’à présent à Agar, me paraît heureusement pensé et heureusement rendu. L’enfant est un peu gras pour le fils d’un nomade, d’ailleurs bien en scène. Quant au patriarche, l’auteur n’a pas cherché, que je sache, à lui donner une expression quelconque ; il a copié un beau scheyck de Bedouins, dans son costume le plus pittoresque. Pourtant il y avait, je pense, quelque parti à tirer de ce prototype des maris dociles, et j’aurais aimé à trouver sur sa physionomie quelques sentimens de honte et de regret. Le peu que l’on voit du désert est d’un effet excellent.

Parmi les peintres de notre époque, M. Picot est l’un de ceux qui