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les deux industries rivales, et, avec le progrès de la population et de la richesse, cette place va s’agrandissant de jour en jour. Mais l’industrie du coton se verra arrêtée dans ses empiétemens successifs, et celle du lin reprendra le premier rang qui lui appartient de droit.

Jamais plus belle conquête n’aura été faite au profit de notre agriculture. Le lin est, en effet, de toutes les plantes que nous cultivons la plus précieuse et la plus riche. Outre ses tiges auxquelles l’industrie des tissus donne une valeur si grande, elle produit des graines qui fournissent une huile abondante et dont le résidu forme tout à la fois une excellente nourriture pour les bestiaux et un précieux engrais. Elle a sur bien d’autres plantes, et par exemple sur les vignes, l’avantage d’occuper les meilleures terres, et celui, non moins considérable, d’en changer souvent. Par là, elle alterne avec le blé, et forme avec lui le complément d’une riche culture. Pour juger de la valeur de cette plante, il suffit de dire que, dans les cantons où elle se cultive avec quelque suite, c’est elle qui forme, avec le blé, le contingent de l’impôt. Que cette culture augmente seulement d’un quart sur la surface de la France, et ce n’est pas porter ses espérances trop loin, elle réalisera bien au-delà de tout ce que la betterave pouvait promettre.

Il est permis aussi de compter pour quelque chose l’établissement de plusieurs centaines de manufactures nouvelles qui remplaceront, certes, avec un grand avantage pour l’état et pour la population elle-même, cette industrie des campagnes, qui ne traînait, après tout, qu’une existence chétive et misérable. Ne médisons pas des manufactures, elles sont la force de l’état et l’ornement de nos cités.

Mais, pour que ces espérances se réalisent, il faut que notre filature mécanique, désormais affranchie, soit en position de lutter avec avantage contre la filature anglaise. Il faut qu’elle reprenne à cette dernière le marché national envahi ; en un mot, il faut que l’importation anglaise s’arrête. Autrement, plus de compensation possible : industrie, agriculture, tout périt à la fois, sans dédommagement et sans retour. Il s’agit donc d’examiner si cette industrie naissante est vraiment en mesure de remplir la tâche qui lui est dévolue, et à quelles conditions elle le sera.

À la considérer dans son développement actuel, notre filature mécanique se réduit encore à de bien faibles proportions. En voici la statistique, aussi exacte qu’il est possible de la faire quant à présent.

Au commencement de 1839, et même dès la fin de 1838, il existait, en écartant les projets assez nombreux qui n’avaient pas reçu un commencement d’exécution, quatorze entreprises sérieusement constituées. Dans la suite, le nombre ne s’en est point accru ; circonstance assez remarquable et qui semble d’un mauvais augure pour l’avenir. En effet, tous les établissemens qui fonctionnent déjà, et ceux même qui s’élèvent en ce moment, ont été entrepris à une époque antérieure à l’enquête de 1838. Depuis lors, il y a eu comme un temps d’arrêt. Ce n’est pas qu’il ne se soit encore formé des