Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 19.djvu/22

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
18
REVUE DES DEUX MONDES.

LE PRÉCEPTEUR.

Ayez un peu de patience, songez qu’il m’en faut souvent beaucoup avec vous.

GABRIEL.

C’est vrai, mon ami, pardonnez-moi. Je suis mal disposé aujourd’hui.

LE PRÉCEPTEUR.

Je m’en aperçois. Peut-être vaudrait-il mieux remettre la conversation à demain ou à ce soir. (Léger bruit dans le cabinet.)

GABRIEL.

Qui est là dedans ?

LE PRÉCEPTEUR.

Vous le saurez, si vous voulez m’entendre.

GABRIEL, vivement.

Lui ! mon grand-père, peut-être !…

LE PRÉCEPTEUR.

Peut-être.

GABRIEL, courant vers la porte.

Comment peut-être ! et vous me faites languir !… (Il essaie d’ouvrir. La porte est fermée en dedans.) Quoi ! il est ici, et on me le cache !

LE PRÉCEPTEUR.

Arrêtez, il repose.

GABRIEL.

Non ! il a remué, il a fait du bruit.

LE PRÉCEPTEUR.

Il est fatigué, souffrant, vous ne pouvez pas le voir.

GABRIEL.

Pourquoi s’enferme-t-il pour moi ? Je serais entré sans bruit ; je l’aurais veillé avec amour durant son sommeil ; j’aurais contemplé ses traits vénérables. Tenez, l’abbé, je l’ai toujours pressenti, il ne m’aime pas. Je suis seul au monde, moi : j’ai un seul protecteur, un seul parent, et je ne suis pas connu, je ne suis pas aimé de lui !

LE PRÉCEPTEUR.

Chassez, mon cher élève, ces tristes et coupables pensées. Votre illustre aïeul ne vous a pas donné ces preuves banales d’affection qui sont d’usage dans les classes obscures…

GABRIEL.

Plût au ciel que je fusse né dans ces classes ! je ne serais pas un étranger, un inconnu pour le chef de ma famille.