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DE L’INDUSTRIE LINIÈRE.

pour mieux dire, l’impossibilité qu’il y avait pour la douane à distinguer désormais les fils d’étoupe d’avec les fils de lin, a forcé de modifier l’application de la loi. La distinction a disparu en fait, en attendant qu’elle ait été supprimée en droit ; mais ce n’est pas à l’avantage de nos filateurs. Au lieu de percevoir le droit de 24 francs sur tous les fils indistinctement, ce qui semblait naturel, puisque tous avaient désormais acquis la valeur supérieure des fils de lin, on a pris le parti de considérer comme provenant des étoupes tous les fils du no 30 anglais et au-dessous, et de ne percevoir le droit de 24 francs que sur les numéros plus élevés. Ainsi, par le fait, le droit est maintenant de 14 fr. les 100 kilog. pour tous les fils, jusqu’au no 30 anglais, c’est-à-dire pour les qualités communes qui sont d’un usage plus général ; il est de 24 francs pour les qualités plus hautes.

Comme le prix du fil augmente à mesure que le numéro s’élève, il est difficile d’établir exactement la proportion de ces droits fixes avec la valeur des produits. On peut dire cependant que, dans la première catégorie, le droit de 14 francs ressort pour les numéros les plus bas à 5 ou 6 pour 100, et pour les numéros les plus élevés à 2 et demi. Pour la seconde catégorie, celle pour laquelle le droit de 24 francs est maintenu, le rapport est à peu près le même, en ne tenant compte que des numéros 30 à 60 ; mais au-dessus la proportion diminue sensiblement. Si l’on passe le no 100, l’importance du droit devient tout-à-fait insignifiante.

C’est sous l’abri de cette misérable protection que notre filature mécanique, qui date à peine d’hier, est forcée de lutter, au milieu de tant d’obstacles qui l’entourent, avec tant de charges qui l’accablent, contre une industrie déjà vieille et qui prospère depuis long-temps. Évidemment, la position n’est pas tenable. Quand on ne considérerait que l’aggravation permanente des frais qu’elle supporte, ce serait déjà trop pour l’écraser ; mais encore faut-il après tout lui tenir compte des embarras de ses débuts. Nous avons fait bon marché de ces embarras, en tant qu’on voudrait y voir un obstacle à sa marche ; mais ils ne lui créent pas moins un désavantage relatif qui n’est pas encore près de s’effacer. Les ouvriers se rendront habiles sans que les Anglais s’en mêlent ; mais ils ne le sont pas encore et ne le deviendront qu’avec le temps. Les maîtres acquerront s’ils le veulent, et sans leçons, l’expérience et les connaissances requises, mais ils ne les posséderont qu’après les avoir payées par quelques fautes et d’assez longues tribulations. Nous avons passé sous silence la différence énorme qui existe entre la France et l’Angleterre quant à l’abondance et au prix des capitaux, parce que nous supposons cette différence compensée par celle du prix de la main d’œuvre : mais, en laissant à part ce qui tient à la situation relative des deux pays, la filature anglaise possède en propre des capitaux accumulés durant quinze années d’une prospérité croissante. Et quel avantage n’est-ce pas pour elle d’avoir depuis long temps couvert tous les frais de premier établissement, et de se trouver encore maîtresse de tant de capitaux acquis, à l’aide desquels elle multiplie ses moyens, économise ses frais, double sa puissance, étend son influence partout, renverse les obstacles,