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autres plus ou moins communs, c’est une superfluité fort insignifiante, et, le plus souvent, fort maussade.

La réimpression du livre rare est d’ailleurs une œuvre d’industrie et de goût ; elle demande un compositeur habile, un correcteur intelligent, des ouvriers attentifs à la pureté, à l’égalité du tirage. C’est un livre qu’elle produit. La contre-épreuve litho-typographique n’est qu’un cadavre. Elle ressemble beaucoup à l’original, j’y consens ; mais elle lui ressemble comme une figure de Curtius ressemble à une statue. La litho-typographie vous donnera des bibliothèques, le jour où Curtius vous composera des musées.

Et puis, cette ressemblance n’est pas d’une identité si désespérante qu’on l’imagine. Cette magnifique hyperbole est tout bonnement du style de programme à l’adresse des ignorans. Il n’y a rien de moins identique qu’une feuille de papier imprimé et une feuille de papier litho-typographié. Ce qu’il y a de désespérant, c’est l’audace avec laquelle on débite des bourdes pareilles à la face d’une nation éclairée et d’un jury de savans qui la représentent à leurs risques et périls. Il n’est personne qui ne sache que le caractère d’imprimerie est en saillie sur la forme quand elle se trouve pressée par le tympan ; les arêtes s’y détachent donc avec netteté, les déliés avec finesse ; l’œil de la lettre y reste limpide et brillant. Rien de tout cela dans la litho-typographie, qui retrouverait en vain l’introuvable papier des imprimeurs anciens, si elle ne trouve en même temps quelque moyen de faire illusion sur le foulage, et je la mets au défi d’y parvenir. C’est qu’elle n’agit pas par impression, mais par expression. L’imprimerie a fait empreinte, elle fait tache ; le type métallique mord sur le papier, elle y bave. La litho-typographie s’est trompée sur son véritable nom, qui est connu de temps immémorial ; elle s’appelle la maculature.

Vous voyez, monsieur, qu’il n’y a pas de quoi s’indigner contre un procédé qui ne saurait faire illusion au plus maladroit des connaisseurs. Notre vieil ami Jean-Chrétien Fabricius, irrité comme vous, il y a quarante ans, de l’audace d’une autre espèce de contrefacteurs, fulminait contre eux cette terrible imprécation, dans le goût d’Obadiah : Damnandæ vero memoriæ sunt John Hill et Louis Renard, qui insecta ficta proposuere. Qu’en est-il arrivé ? C’est que Jean Hill et Louis Renard en ont été pour leurs frais, et que l’insecte factice n’a jamais été reçu dans une collection d’amateurs. Il en sera de même du livre factice des litho-typographes, à qui Dieu fasse paix. J’attends ces présomptueux chiffons à la première vente, et vous verrez com-