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on a formé une espèce de tumulus ; au sommet du poteau, on a cloué une plaque de cuivre sur laquelle est gravé le nom de Cook ; l’épitaphe qui l’accompagne est devenue illisible ; le poteau est couvert des noms de marins anglais qui sont venus rendre hommage à la mémoire du célèbre navigateur. Mais ce monument est bien mesquin, et on s’étonne que le gouvernement anglais n’ait pas pu reconnaître d’une manière plus convenable les immenses services rendus à la navigation par le capitaine Cook ; il y a des cendres qui reposent sous les voûtes de l’abbaye de Westminster qui n’ont pas autant de droits à la reconnaissance du peuple que celles qui gisent abandonnées sous la lave d’Owhyhee.

La maison de M. Forbes est située au milieu d’un jardin assez négligé, et entourée d’une haie vive formée de plantes de ti ; le ti est un arbuste à larges feuilles, dont la racine cuite a le goût de caramel ou de sucre brûlé ; les naturels en extrayaient autrefois une liqueur très forte. Aujourd’hui la distillation de cette racine est sévèrement défendue par les missionnaires. — M. Forbes nous reçut très cordialement et nous présenta à sa famille, composée de sa femme, native, comme lui, des États-Unis, et de deux enfans charmans. Kapiolani vint nous rejoindre, et bientôt la cloche nous appela à l’église.

L’église de Kaava-Roa est en tout semblable aux maisons du pays : c’est un grand hangar, qui a la forme d’un cône très élevé ou plutôt d’un toit posé sur la terre ; les parois sont soutenues par une charpente dont les parties sont attachées l’une à l’autre par des cordes, car il n’entre pas un seul clou dans la construction des maisons ; cela forme une espèce de treillage recouvert au dehors de feuilles de pandanus, de cocotier ou de canne à sucre ; dans les maisons des chefs, l’assemblage de ces feuilles est caché par des nattes qui tapissent tout l’intérieur. L’église a environ quatre-vingts pieds de longueur sur quarante de largeur, et cinquante environ de hauteur dans la partie la plus élevée du cône ; elle peut contenir plus de mille personnes. Sur des nattes grossières étaient agenouillés ou assis environ six cents insulaires. Quelques chaises avaient été disposées pour nous, auprès de la chaire du ministre. C’était un spectacle intéressant que cette multitude rassemblée pour écouter la parole du Christ sur cette même terre où, il y a à peine cinquante ans, elle offrait encore des victimes humaines à de monstrueuses divinités. Il y a, il est vrai, bien peu de véritables chrétiens parmi les naturels, et presque tous conservent encore dans l’intérieur de leurs villages et de leurs maisons leurs absurdes superstitions ; pourtant c’est déjà beaucoup que de les avoir amenés à venir écouter des paroles parfois trop mystiques sans doute et auxquelles ils ne comprennent rien, mais qui renferment souvent des leçons de cette morale chrétienne, si sublime et si simple, si propre à leur ouvrir peu à peu les voies de la civilisation. — Les femmes étaient d’un côté, et les hommes de l’autre ; aucun individu nu n’était admis, mais M. Forbes avait été obligé de ne pas être trop sévère quant à la forme du vêtement. Généralement, les hommes étaient couverts de larges pièces d’étoffe du pays qu’ils drapaient comme un manteau ; nous vîmes surgir, au milieu de la foule des femmes, plusieurs chapeaux de paille, et surtout de ces disgracieuses capotes dont les Anglaises se