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découpées de bananier, vous arrêtait en vous offrant des coquilles terrestres, des crustacées ou des oiseaux : quelquefois nous pouvions distinguer, à travers une jalousie entr’ouverte, d’élégantes écharpes et de blondes têtes de femmes, regardant passer les nouveaux arrivés, tandis que nous étions entourés d’une foule de Sandwichiens, aux cheveux épars et aux jambes nues, qui, fixant sur nous des yeux malins, cherchaient à provoquer de notre part une marque d’attention. Il y a trois églises à Honolulu. La principale est le Seamen Chapel (chapelle des gens de mer). C’est là que l’aristocratie du pays, la population blanche, se réunit le jour du sabbat. Sous le même toit est un cabinet de lecture où on trouve, à des dates souvent reculées, il est vrai, les principaux journaux du monde civilisé. Auprès du cabinet de lecture est une espèce de cabinet d’histoire naturelle dont toutes les richesses se bornent à quelques coquilles du pays ou de la côte de Californie et à une douzaine d’arcs et de flèches venus des Îles Fidgi. La seconde église est celle des naturels ; c’est, sans contredit, celle qui offre le plus d’intérêt à un Européen, et c’est là que j’allai entendre le service divin ; mais, comme j’ai déjà parlé d’une cérémonie semblable à Owhyhee, je me bornerai à dire qu’ici les costumes étaient moins bizarres qu’à Kaava-Roa. D’ailleurs, l’église elle-même, bâtie en pierre, avec son clocher et ses cloches, ses tribunes sculptées et ses bancs déjà polis par la vétusté, ne pouvait se comparer à l’église de Kaava-Roa, avec ses murailles et son toit de chaume, sa charpente nue et attachée avec des cordes, ses nattes et son modeste pupitre. Nous trouvâmes la population native en habits de fête, et, au milieu de la foule, nous distinguâmes de nombreux chapeaux très comiquement mis et des capotes encadrant de larges et bruns visages qui n’avaient pas besoin de cet ornement pour être singuliers. Il y avait vraiment là des scènes dignes du pinceau d’Hogarth.

Le lendemain de notre arrivée, nous fîmes notre visite solennelle au roi. La maison dans laquelle il nous reçut appartient à Nahiena-Heina, sa sœur : il nous fit la galanterie de nous y recevoir plutôt que dans sa propre maison, à cause de l’éloignement où celle-ci est du rivage ; il eut pitié de nous et ne voulut pas nous exposer à faire une longue course sous un soleil brûlant. Cette maison était, comme toutes celles du pays, composée d’une seule pièce ; on en avait enlevé les compartimens. Une large estrade de nattes d’une grande finesse occupait le fond de la salle ; les parois intérieures, ainsi que le plafond ou toit, étaient tapissées d’autres nattes recouvertes de branches vertes destinées à attirer les mouches et à en délivrer les assistans. En avant de l’estrade, et assis sur des fauteuils, étaient le roi Kauikeaouli, et les trois sœurs et femmes de Rio-Rio, son frère et prédécesseur. Un certain nombre de chaises, complétant le cercle, avaient été disposées pour nous. Derrière le roi et les princesses se tenaient debout, ou étaient couchés sur l’estrade, les principaux chefs avec uniforme et épaulettes, et quelques dames d’honneur. Deux sentinelles nous portèrent les armes à l’entrée de la cour et à la porte de la maison. Le gouverneur du fort vint au-devant de nous et nous présenta au roi. Sa majesté sandwichienne était vêtue d’un habit bleu à boutons d’uniforme,