Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 19.djvu/368

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
364
REVUE DES DEUX MONDES.

Théophile se rapproche de D’Aubigné, comme lui élevé dans le protestantisme, comme lui florissant au milieu de la cour de Henri IV ; mais la violence, la caricature, la sève haineuse, l’accent grotesque de la Ménippée et du Baron de Féneste, ne déparent point Théophile. Il est grave dans sa prose, il est ironique, il est simple, il est coloré ; le premier tableau de mœurs réelles, prises sur le fait et plaisamment ingénues, que notre langue possède, est tombé de sa plume ; ses trois factums français et son factum latin sont des chefs-d’œuvre. Après l’avénement de Racine et de Bossuet, personne ne s’est souvenu que Théophile eût écrit ; nul, excepté Saint-Évremont, n’a relevé ces preuves énergiques d’un beau talent mort dans la jeunesse. La littérature de Louis XIII, pauvre folle, ensevelie par Boileau, n’a pas encore eu d’épitaphe ; elle s’est couchée, sans mot dire, après une vie de débauche, dans le tombeau qu’on lui creusait ; et, sur ses restes, un seul laurier a fleuri, celui de Pierre Corneille.

De Viau, homme très remarquable, était né, en 1590, non pas à Boussères, comme l’avance la Biographie Universelle, mais à Clérac ; il le dit dans un sonnet :

Clérac ! pour une fois que vous m’avez fait naître,
Hélas ! combien de fois me faites-vous mourir !

Son père, avocat huguenot, que les guerres civiles avaient effrayé, avait quitté le barreau de Bordeaux, pour se retirer dans ses propriétés de Boussères-Sainte-Radegonde, à une demi-lieue de Port-Sainte-Marie, et sur les bords de la Garonne. Là,

Dans ces obscurs vallons, où la mère-nature
A pourvu nos troupeaux d’éternelle pâture,
Je pouvais… (dit Théophile) boire à petits traits
D’un vin clair, pétillant, et délicat, et frais,
Qu’un terroir, assez maigre et tout coupé de roches,
Produit heureusement sur les montagnes proches ;
Là, mes frères et moi pouvions joyeusement,
Sans seigneur ni vassal, vivre assez doucement.

Au milieu du domaine s’élevait la tourelle gothique, assez peu haute, mais dominant les petites maisons du bourg ; elle avait abrité des princes et donné l’hospitalité à plus d’un grand seigneur. On estimait fort l’oncle de Théophile, soldat de Henri IV et gouverneur de Tournon ; toute cette race appartenait à la gentilhommerie huguenote : l’aïeul avait été secrétaire de la reine de Navarre[1]. Le jeune

  1. Théophilus in carcere.