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LES VICTIMES DE BOILEAU.

comme Saint-Amant, ni un mauvais plaisant comme Bruscambille ; on le sentait capable de raisonner sa sensualité, de réduire son épicuréisme en théorie, de lui prêter, comme appuis, des argumens, de l’éloquence et de l’obstination.

Sa présence et son succès à la cour de Henri IV ne nous sont révélés que par quelques épigrammes assez heureuses. Il était bien jeune. Après la mort du Béarnais, sa position semble changer, et l’on dirait qu’il s’ennuie. Un jeune homme de dix-huit ans, fort vain, assez instruit, aimant les lettres, le luxe, le loisir et le plaisir, se lie avec Théophile ; la conformité de leurs goûts les détachant sans doute de cette confusion et de cette anarchie qui commencent à régner en France, ils se mettent à voyager ensemble. Les deux voluptueux vont en Hollande, pays de liberté pour les idées, et de sévérité pour les mœurs. L’un, gentilhomme huguenot, est charmé de se trouver au milieu de ces bourgeois hardis qui viennent d’humilier l’Espagne. L’autre (c’est le fameux Balzac) abuse des plaisirs faciles que lui offrent les tavernes d’Amsterdam, et reçoit des coups de bâton, que l’épée de Théophile se charge de venger. Ils se brouillent au retour, et leurs mutuelles accusations nous instruisent de leurs fredaines. En réduisant à leur valeur véritable ces preuves d’une animosité flagrante, née d’une grande intimité, il paraît avéré que Théophile se montra brave et ivrogne, Balzac débauché et ingrat, et que les docteurs hollandais conservèrent de ce dernier surtout un souvenir défavorable. Toute leur sympathie appartenait au huguenot qui buvait sec et vantait leur liberté récente, cette « liberté qui ne peut mourir. » Dans une ode qui tient plus de l’éloquence que de la poésie, Théophile désavoue les éloges qu’il a pu donner à des héros imparfaits ; s’il a tracé, dit-il, « d’immortelles images, » c’était pour les encourager à devenir semblables au portrait qu’il leur présentait. Il flétrit « les ames de cire et de boue » dont la cour de France est pleine, et qu’on peut « employer à tous les crimes. » Ses véritables admirations, ses légitimes éloges, appartiennent à ces nobles et téméraires artisans de leur indépendance, qui ont châtié l’insolente Espagne :

L’Espagne, mère de l’orgueil,
Qui préparait votre cercueil
Et de la corde et de la roue,
Et venait avec des vaisseaux
Qui portaient peintes sur la proue,
Des potences et des bourreaux !