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Balzac n’eût pas écrit ces vers ; il était « trop cagnard, » comme disait Richelieu, trop ami du repos et du coin du feu, trop peu hardi dans l’expression de sa pensée, trop asservi aux autorités de son pays. Mais Théophile ne craignait rien : c’était d’ailleurs pour le calviniste un spectacle curieux, que cette république libre et active, qui avait eu ses héros, aussi grands que Miltiade ou Pélopidas. Aussi plaçait-il dans la bouche des Hollandais ces paroles incorrectes et éloquentes, adressées aux victimes de la guerre :

Belles ames ! soyez apprises
Que l’horreur de vos corps détruits
N’a point rompu vos entreprises,
Et que nous recueillons les fruits
Des peines que vous avez prises.
Nos ports sont libres ! Nos remparts
Sont assurés de toutes parts !
..............
L’Espagnol, à pleine licence,
Venait fouler notre innocence ;
Et l’appareil de ses efforts
Craignait de manquer de matière !
Mais nos champs tapissés de corps
Manquent plutôt de cimetière,
Pour le sépulcre de ses morts !

Balzac blâmait la dureté de ces vers et ne comprenait pas leur hardiesse généreuse ; Théophile accusait Balzac de couardise. L’un, sans doute, était imprudent ; l’autre était timide. Balzac pressentait la réforme du style et donnait déjà la main au sévère Malherbe ; Théophile préférait la noblesse et l’audace de la pensée à la pureté de la diction. Ces deux hommes ne pouvaient s’entendre : on les verra plus tard s’attaquer avec acharnement.

Lorsque Théophile reparaît à la cour de Louis XIII, l’Italien Concini la domine ; Concini,

Cet homme dont le nom est à peine connu,
D’un pays étranger nouvellement venu,
Que la Fortune aveugle, en promenant sa roue,
Tira sans y penser d’une ornière de boue !

Ainsi le peint Théophile ; et il est indigné de cette splendeur :

Et nous le permettons ! et le Français endure
Qu’à nos propres dépens cette grandeur lui dure !