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REVUE DES DEUX MONDES.

Lune ! romps ton silence, et pour me démentir
Reproche-moi la peur que tu me vis sentir !
Que dus-je devenir, ce soir où le tonnerre
Presque dessous mes pieds vint balayer la terre ?
Il brûla mes voisins, il me couvrit de feu.
Eh bien ! pour tout cela, je le craignis bien peu !

Pour ce dernier trait, c’est une bonne gasconnade ; mais elle ne détruit ni le souvenir de son courage, ni la pitié qu’on éprouve pour cet homme auquel un autre siècle eût donné gloire et fortune. Il ne faut pas naître avant son temps. Chassé de Toulouse, il alla du côté des Landes et poussa jusqu’aux Pyrénées :

Je viens, dans un désert, mes larmes épancher,
Où la terre languit, où le soleil s’ennuye ;
Où ce torrent de pleurs qu’on ne peut estancher,
Couvre l’air de vapeurs et la terre de pluye.
Parmi ces tristes lieux, traînant mes longs regrets,
Je me promène seul dans l’horreur des forêts,
Où la funeste orfraye et le hibou se perchent :
........Ce sont des lieux
Où rien de plus courtois qu’un loup ne m’avoisine,
Où des arbres puans fourmillent d’écurieux[1],
Où tout le revenu n’est qu’un peu de résine,
Où les maisons n’ont rien plus froid que la cuisine,
Où le plus fortuné craint de devenir vieux,
Où la stérilité fait mourir la lésine,
Où tous les élémens sont mal voulus des cieux.
Là le soleil, contraint de plaire aux destinées,
Pour étendre mes maux allonge ses journées,
Et me fait plus durer le temps de la moitié.
Mais il peut bien changer le cours de sa lumière,
Puisque le roy, perdant sa bonté coutumière,
A détourné de moy le cours de sa pitié.

Tous ces maux n’abaissent pas le ton de Théophile ; tapi dans quelque cabane des Landes et éclairé d’un flambeau de résine, il écrit à Louis XIII :

J’ai choisi loin de votre empire
Un vieux désert où les serpens
Boivent les pleurs que je répands,
Et soufflent l’air que je respire

  1. Écureuils.