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ment amoureux. — Mais elle est laide quand elle dort ! on dirait qu’il y a dans son ame quelque chose de vil ou de farouche qui disparaît à son gré quand elle parle ou quand elle chante, mais qui se montre quand sa volonté est enchaînée par le sommeil… — Pouah ! ce vin est couleur de sang… il me rappelle mon cauchemar… Décidément je me dégoûte du vin, je me dégoûte des femmes, je me dégoûte du jeu… Il est vrai que je n’ai plus soif, que ma poche est vide, et que je suis en prison. — Mais je m’ennuie profondément de la vie que je mène ; et puis, ma mère l’a dit. Dieu fera un miracle et je deviendrai un saint. — Oh ! qu’est-ce que je vois ? c’est très édifiant ! mon petit cousin porte un reliquaire ; si je pouvais écarter tout doucement le col de sa chemise, couper le ruban et voler l’amulette, pour la lui faire chercher à son réveil…

(Il s’approche doucement du lit de Gabriel et avance la main. Gabriel s’éveille brusquement et tire son poignard de son sein.)

GABRIEL.

Que me voulez-vous ? Ne me touchez pas, monsieur, ou vous êtes mort !

ASTOLPHE.

Malpeste ! que vous avez le réveil farouche, mon beau cousin ! vous avez failli me percer la main.

GABRIEL, sèchement et sautant à bas de son lit.

Mais aussi, que me vouliez-vous ? Quelle fantaisie vous prend de m’éveiller en sursaut ? C’est une fort sotte plaisanterie.

ASTOLPHE.

Oh ! oh ! cousin ! ne nous fâchons pas. Il est possible que je sois un sot plaisant, mais je n’aime pas beaucoup à me l’entendre dire. — Croyez-moi, ne nous brouillons pas avant de nous connaître ; si vous voulez que je vous le dise, la relique que vous avez au cou me divertissait… J’ai eu tort, peut-être ; mais ne me demandez pas d’excuses, je ne vous en ferai pas.

GABRIEL.

Si ce colifichet vous fait envie, je suis prêt à vous le donner. Mon père en mourant me le mit au cou, et long-temps il m’a été précieux ; mais depuis quelque temps, je n’y tiens plus guère. Le voulez-vous ?

ASTOLPHE.

Non ! Que voulez-vous que j’en fasse : mais savez-vous que ce n’est pas bien, ce que vous dites là ? La mémoire d’un père devrait vous être sacrée.