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REVUE. — CHRONIQUE.

sion, à savoir que ce serait rétrograder que de séparer les pouvoirs exécutif et législatif, en isolant la chambre des fonctionnaires, et en réduisant l’influence du gouvernement dans la chambre à huit ministres qui ne seraient pas députés. Combien de fois avons-nous entendu l’opposition se plaindre des ministères où les députés ne figuraient pas en majorité ! Quel pouvait être le but de ces plaintes, si ce n’est de vouloir faciliter les rapports de la chambre et de l’administration ? On ne s’efforce déjà que trop, tous les jours, de représenter le gouvernement comme l’adversaire de la chambre : tous les hommes sensés savent qu’il n’en est rien ; mais la réforme électorale, telle que l’entend le parti de la gauche extrême, ne va pas à moins qu’à produire ce déplorable résultat.

La simple lecture des conditions posées comme bases du projet de réforme conçu par le comité formé sous les auspices de M. Odilon Barrot, montre combien elles s’éloignent des vues indiquées par la commission de la chambre. D’après la composition de ce comité, on ne pouvait s’attendre à des conclusions timides. Du premier coup, le comité renverse le cens de l’éligibilité, et déclare que tout électeur sera éligible. De là on en viendra sans doute à déclarer que tout garde national est électeur, ainsi que le demandaient les pétitions que l’opposition colportait au commencement de la dernière session. Les adjonctions se composeront, en attendant, de la seconde liste du jury, des capacités énumérées dans la loi municipale, des officiers de garde nationale, des conseillers municipaux, etc. Les fonctionnaires, moins les commandans de division, qui déjà ne peuvent être élus dans leur ressort, seraient écartés de la chambre, et chaque député recevrait une indemnité de vingt francs par jour pendant la durée des sessions. La portée de ces conditions est facile à comprendre. La base en est empruntée à la constitution des États-Unis, où aucune personne tenant un office sous l’autorité du gouvernement, ne peut faire partie de la législature.

M. de Tocqueville, qui fait partie du comité présidé par M. Odilon Barrot, aurait pu faire remarquer qu’aux États-Unis la séparation du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif a moins d’inconvéniens que dans une monarchie. Le pouvoir exécutif reçoit simplement les ordres de la législature et les met en pratique. Nulle jalousie n’est possible entre ces deux pouvoirs. La présidence n’a pas besoin de liens bien intimes avec la législature ; et quand celle-ci, entièrement séparée du gouvernement et de la masse des fonctionnaires, pèse trop rudement sur eux, il ne peut venir à la pensée d’un gouvernement qui change tous les quatre ans de lutter. L’administration, qui est toute locale aux États-Unis, dispense aussi la législature d’avoir les connaissances variées, l’intelligence des affaires journalières, qui sont indispensables aux chambres d’un gouvernement central comme le nôtre. En un mot, le pouvoir exécutif est annulé par le sénat aux États-Unis, ou plutôt il n’y a là, en réalité, qu’un pouvoir. Voudrait-on créer cet état de choses en France ? Une chambre où ne seront admis d’autres fonctionnaires que des commandans de division, ne sera plus un grand conseil national. Il y manquera tous ceux qui pourraient l’éclairer de leurs lumières, et l’arrêter dans la carrière des inno-