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quelques mois de chaque nouveau volume de poésies. La forme est facile, harmonieuse, mais on y cherche trop souvent en vain un cachet original et distinctif. M. Lacaussade est un admirateur de M. Victor Hugo ; il a gardé, avec ce qu’elle a de vague et d’indécise, la manière des Méditations. Ce n’est pas que les jeunes écrivains doivent sans doute s’interdire l’imitation des maîtres ; mais il arrive souvent, dans les débuts, de prendre pour des impressions propres et toutes personnelles ce qui n’est après tout que le souvenir plus ou moins effacé d’une première lecture enthousiaste, qu’un sentiment étranger qu’on finit par regarder comme sien, sans songer même à en varier la nuance. Dès les premières pages, tout se devine par les titres : c’est l’Étoile du matin, le Barde à la fleur, la Nacelle, le Lac, l’Orage. Par malheur on arrive vite à l’épuisement, aux choses connues et cent fois dites, en prenant ainsi pour sources d’inspiration préférées le spectacle de la nature, spectacle sublime sans doute, mais qui, de notre temps, se réfléchit dans la poésie sous un aspect toujours pareil. M. Lacaussade, je le sais, a essayé de peindre une nature nouvelle ; né à l’île Bourbon, au pied du mont Salaze, il a chanté les oiseaux blancs, les arbustes fauves des mornes. Mais pour nous intéresser vivement, nous enfans casaniers des cités, il faut plus que les demi-teintes d’un tableau heureusement touché en certaines parties ; il faut toute la lumière, toute la sève des tropiques, et il ne suffit pas, pour arriver à la couleur locale, de jeter çà et là quelques noms de plantes plus ou moins bizarres. M. Lacaussade nous paraît donc avoir fait une trop large part, dans la poésie, aux rayons, aux orages, aux étoiles, au murmure des mers, et au bengali. Nous lui demanderons plus de sentimens réels et vrais, une étude plus sérieuse de la vie pratique, car c’est là surtout ce qui lui manque. En amour comme en politique, car il a chanté la politique et l’amour, M. Lacaussade s’est trompé, ce nous semble, et s’est contredit plus d’une fois. Est-il vrai, comme il le dit, que tous les rois soient des tigres à face humaine, et que Dieu ait tort de souffrir leurs attentats ? De son côté, M. de La Mennais est-il bien réellement le vengeur des nations, et faut-il considérer comme amis des tyrans tous ceux qui ne se rangent pas à la foi de son catéchisme politique ? Quand M. Lacaussade, à propos des années de sa propre jeunesse, parle de ses blasphèmes sans fin, des ébullitions de sa colère, de ses désirs de tombe et de cercueil, ne cesse-t-il pas complètement d’être naturel et vrai ? Tout homme a ses heures de tristesse et de découragement sans doute ; mais quand cette tristesse s’exagère, elle court grand risque de n’être plus qu’un sentiment faux, un spleen qui prête au comique. L’inexpérience du jeune poète se trahit ainsi en une infinité de détails. Il parle des trouvères comme de gens mélancoliques et rêveurs ; il parle aussi des bardes grecs, et s’il se trompe de la sorte sur les hommes ou les appellations du passé, il nous paraît aussi s’abuser quelquefois d’une singulière façon sur les hommes de son époque. Il croit, par exemple, à la profonde perfidie, à l’immense méchanceté du critique, et s’imagine de bonne foi qu’il y a dans ce monde des gens dont l’unique emploi est d’empêcher le génie d’arriver à la gloire. Le critique est-il donc si ennemi de la réputation