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REVUE. — CHRONIQUE.

des écrivains, et ne devrait-on pas l’écouter un peu, au lieu de le maudire, quand il signale, par exemple, à M. Lacaussade l’emploi du verbe azurer comme une nouveauté grammaticale, et qu’il se permet de ne pas regarder comme très correct ce vers :

Dans un humble réduit que nul faste décore.

Au reste, si méchant qu’il soit, le critique aime à reconnaître dans les Salaziennes de généreux instincts, une facture élégante, et des fragmens heureusement jetés auprès de morceaux pâles et vagues.


Histoire des Osmanlis et de la monarchie espagnole, pendant les XVIe et XVIIe siècles, par M. Léopold Ranke[1]. — On pourrait peut-être s’étonner au premier abord de trouver réunies dans un même volume, rattachées à un même point de vue et présentées comme les deux termes inséparables d’un grand problème scientifique, les histoires, si tranchées, de la Turquie et de l’Espagne. Du harem à l’Escurial, il y a loin, sans doute, et la transition est brusque des muets de Constantinople aux dominicains, inquisiteurs de la foi ; et cependant l’Espagnol et le Turc, le vainqueur et le vaincu de Lépante, ont accompli, à une certaine époque, des destinées presque identiques. Tous deux ont menacé l’Europe d’une prépondérance absolue, ou d’une conquête sans pitié. Ils ont eu, pour un temps, la force militaire, comme l’Italie l’intelligence ; et tous deux aussi sont tombés de leur rang suprême, sans avoir subi ces malheurs inévitables qui changent d’un seul coup le sort d’un peuple. Quelles sont donc les causes réelles de cette dégradation rapide ? Comment, au XVIe siècle, les Turcs, déclarés invincibles et redoutés de tous, ont-ils commencé à craindre pour eux-mêmes ? Pourquoi l’Espagne a-t-elle laissé échapper le sceptre de Charles-Quint et de Philippe II ? Telles sont les hautes questions que M. Ranke a traitées dans ce livre. Les Osmanlis l’occupent d’abord. Il les montre rapidement au temps de leur puissance. L’Europe tremble devant eux, et Venise leur paie des tributs, que son orgueil républicain cherche en vain à déguiser sous le nom de présens ; l’Asie les redoute comme la chrétienté, car on sait partout la vérité de ce proverbe turc : Là où un cheval ottoman a posé le pied, l’herbe ne croît plus. Bajazet peut se nommer justement l’ombre de Dieu sur les deux parties du monde, et Chaireddin-Barberousse a presque raison quand il dit que son turban, placé au bout d’une perche, fait trembler et fuir les chrétiens. M. Ranke cherche les causes de cette supériorité des Osmanlis dans leur système féodal, l’organisation de leurs esclaves, leurs dogmes religieux, le despotisme absolu des souverains. Il prouve, en quelque sorte, la nécessité de ce despotisme, dans un empire qui n’a pas été fondé par une race dominante, ou par l’alliance et la réunion de diverses populations, mais uniquement par un maître et des esclaves. Après avoir exposé,

  1. Traduit de l’allemand, par M. Haiber, 1 vol. in-8o. Paris, 1839. Debécourt, rue des Saints-Pères, 69.