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changés en damnés chrétiens, et le mystique auteur du traité de Morientibus aurait pu justement, à l’appui de ses récits étranges et de la vérité des apparitions merveilleuses, invoquer le témoignage de Pline, qui avait dit avant lui, post sepulturam visorum quoque exempla sunt : Bien avant la fierté de saint Romain, les vestales avaient le privilége de sauver du supplice les criminels qui se rencontraient sur leur route. Le chevalier Owein, en descendant au purgatoire Saint-Patrice, se souvenait vaguement d’Énée et du rameau d’or, et dans le XVIIe siècle encore, les morts, en certains lieux de l’Allemagne et de la France, emportaient dans le cercueil la pièce de monnaie qui servait à payer le passage fatal. Pourquoi donc, quand la fable mythologique reparaissait sous la légende chrétienne, quand le conteur, qui avait oublié le nom et la langue de Pétrone se souvenait de la matrone d’Éphèse, pourquoi enfin, quand l’antiquité vivait puissante encore par sa poésie, aurait-elle cessé de vivre par ses lois ? Le christianisme vainqueur avait essayé, souvent en vain, de proscrire ses rites, mais sans pouvoir en triompher. Il les adopta donc en les sanctifiant. Le jurisconsulte barbare, le glossateur, devaient-ils se montrer plus sévères que le prêtre ? La théologie invoquait Platon ; Aristote gardait sa suprême autorité. Les codes de l’empire, à leur tour, pouvaient-ils perdre tout à coup leur puissance ? Non certes, et les traditions du droit romain s’imposèrent aux barbares eux-mêmes, comme le christianisme, comme la langue latine. Mais au milieu de tant d’élémens divers, les traditions devaient nécessairement s’altérer et se confondre, ou se continuer à l’état latent.

M. de Savigny a distingué, dans les destinées du droit romain au moyen-âge, deux périodes tranchées : d’une part, six siècles d’ignorance ; de l’autre, sept siècles d’une culture plus ou moins heureuse. Il retrouve, dans ce droit, le lien commun de l’Europe chrétienne ; il le suit, à travers les invasions, dans les lois de la cité et du peuple, dans tous les actes de la vie publique ou privée. On peut contester, en certains points, le système de M. de Savigny, on peut nier quelques-unes de ses conclusions ; mais on s’étonnera toujours de l’étendue de ses vues et de sa pénétration. Son livre est complet : il commence par l’exposition des sources du droit, au Ve siècle, et s’arrête au moment où le seizième vient déplacer les fondemens de la science. Rien n’est omis et rien n’est long ; la juste mesure est gardée partout, ce qui est rare dans les travaux de ce genre. M. de Savigny traite toujours suffisamment, en quelques pages nettes et précises, les questions les plus élevées ; il montre la prédilection particulière que le clergé témoigne au droit romain, et comment il s’applique à le propager ; la fécondité et l’intelligence des travaux de l’Italie, au XIIe siècle ; la stérilité du XIIIe ; le réveil de l’esprit scientifique, l’adoption des formes de la dialectique, par les jurisconsultes ; l’application du procédé philosophique, qui n’aboutit souvent qu’à un vain formalisme. Ainsi, l’histoire littéraire s’ajoute à l’histoire dogmatique et la complète. Le savant jurisconsulte étudie l’organisation des universités allemandes, françaises, italiennes, espagnoles ; il montre l’influence qu’elles ont exercée sur le développement intellectuel des peuples de l’Europe, et en particulier sur le droit. L’enseignement oral et l’en-