Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 19.djvu/490

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
486
REVUE DES DEUX MONDES.

Allez, mes sœurs, allez à votre fantaisie.
Nous voulons serpenter sur le coteau joyeux
Où la vigne mûrit sur le sarment qui plie ;
Nous voulons contempler avec nos propres yeux
La chaude passion du vigneron fidèle,
Et de son zèle ardent voir le succès douteux.
Tantôt c’est la faucille, et tantôt c’est la pelle ;
Il arrache, il émonde, il lie, il amoncelle,
Implorant tous les dieux, surtout le dieu du jour.
Bacchus l’efféminé ne s’inquiète guère
Du mortel qui lui voue un si pieux amour.
Couché sous la feuillée ou dans le frais mystère
De sa grotte profonde, il badine à loisir
Avec le jeune faune amoureux du plaisir.
Ce qu’il faut à Bacchus pour sa paisible fête,
Et pour les visions de son esprit dispos,
Demeure incessamment au fond des larges pots
Rangés des deux côtés dans sa fraîche retraite.
Cependant tous les dieux, et surtout Hélios,
À force d’air, de pluie et de rayons de flamme,
Amassent à souhait le trésor des raisins.
Ce que le vigneron a taillé de ses mains
S’éveille tout d’un coup, et s’agite, et prend ame.
Le feuillage tressaille, et mille bruits confus
Courent de toute part dans les pampres émus.
La corbeille gémit, le seau crie et clapotte,
Sous le faix des raisins on sent ployer la hotte ;
Puis, vers la cuve immense on court avec ardeur
Pour les bonds cadencés du puissant vendangeur ;
Et des raisins vermeils l’abondance sacrée
Foulée insolemment sous les pieds, pressurée,
Dégoutte en écumant, et soulève le cœur ;
Et maintenant, voici que les folles cymbales
Tintent de toute part avec un bruit d’airain ;
L’oreille est étourdie, et pour les bacchanales,
Du mystère profond, Dionysos sort enfin,
Entraînant sur ses pas le faune et ses pareilles,
Qu’il s’en va caressant d’une lascive main.
Entre eux, d’un pied hardi, trotte sur le chemin
L’animal de Silène, aux deux longues oreilles.
Allons ! Les pieds fourchus règnent en souverains ;
Les sens sont enivrés, et l’oreille tressaille ;
L’ivrogne emplit sa coupe en battant la muraille,
Et c’en est fait : la tête et le ventre sont pleins.