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GOETHE.

Forte, mâle, puissante, active, désormais
Réfléchie et bornée en ses mille souhaits.
Je connais maintenant le cercle de la terre,
Et sais qu’à l’horizon commencent nos regrets.
Fou, celui dont l’œil cherche en clignant la lumière,
Celui qui se travaille et rêve son pareil
Au-delà du nuage, au-delà du soleil !
L’insensé ! qu’il regarde à l’entour, qu’il s’arrête !
Pour le sage jamais la terre n’est muette.
Qu’a-t-il besoin d’errer dans le vide éternel ?
Ce qu’il sait, il l’apprend sans le ravir au ciel.
Qu’il marche ainsi le temps de la journée humaine,
Et s’il voit des esprits dans la vapeur sereine,
Qu’il passe son chemin sans en être étonné ;
Il trouvera par là le bonheur et la peine,
Lui dont chaque moment d’avance est condamné.


Belles paroles dites quand il n’est plus temps. Faust s’en aperçoit. Le Souci, malgré sa résistance, lui souffle sur les yeux ; il devient aveugle ; son ardeur s’en accroît.

Cependant Méphistophélès, accompagné des Lémures[1], paraît dans le vestibule du palais, et commande à ses étranges satellites d’élever un tombeau. Le bruit du travail réjouit Faust, Méphistophélès le raille : « De toute manière, vous êtes perdu ; les élémens conspirent avec nous, tout marche au néant. » Parole terrible et fatale, bien digne de l’esprit du mal, qui ne voit à l’activité humaine d’autre but que le néant. Tout ici-bas n’est qu’une lutte éternelle de la vie et de la mort, et l’œuvre des hommes sert de pâture aux élémens[2]. Faust s’élève contre cette opinion de l’enfer. « Oui, je crois

  1. Spectres familiers, sortes de revenans auxquels l’antiquité donne l’apparence de squelettes, et dont les superstitions du moyen-âge ont formé des esprits de l’air que la science évoque et se soumet. (Horat., Epist., II ; Apulée, de Deo Socratis, pag. 110. — Lessing, Sous quelle forme les anciens se représentaient la mort, S. 222. — Theophrastus Paracelsus, Philos. sagax, lib. I, 89.) — Goethe, dont le génie plastique se révèle jusque dans les moindres détails, a recours ici, pour exprimer l’idée de la servitude, à des squelettes dont les membres s’agitent et travaillent par un mouvement mécanique et borné, que ne règlent plus désormais ni l’action de l’ame exhalée, ni les appétits de la chair tombée en poussière. Quelle objectivité plus vraie donner au néant de la servitude !
  2. Les élémens haïssent l’ouvre formée par la main des hommes.

    (Schiller’s Glocke.)

    « Mon cœur se navre à l’aspect de cette force dévorante qui gît dans le sein de la nature. La nature n’a rien fait qui ne consume à la longue son voisin, qui ne se con-