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REVUE DES DEUX MONDES.

Qu’il nous est arrivé tant de fois d’être ensemble !
Ah ! plus je vous contemple, espiègles gracieux,
Plus je vous trouve beaux, séduisans, amoureux,
Plus j’aime la rondeur de vos formes humaines,
Plus je sens se glisser dans mes ardentes veines
Tous les secrets désirs du chat luxurieux[1].
Approchez, oh ! de grace, un regard de vos yeux !
(Les anges se répandent partout dans l’espace.)

les anges.

D’où vient que tu t’enfuis devant notre cortége ?
Nous approchons de toi, reste donc si tu peux.

méphistophélès.

Ah ! vous nous appelez démons, sorciers, que sais-je ?
Mais vous êtes, fripons, les seuls sorciers vraiment,
Car vous ensorcelez à la fois homme et femme.
Aventure maudite ! — Est-ce donc l’élément
De l’amour ? de l’amour ! tout mon corps est en flamme.
 À peine si je sens ce diable de charbon
Qui m’est tombé d’en haut sur la nuque, l’infâme !
Et me la tient depuis toute en combustion. —
Vous flottez çà et là dans la lumière blanche,
 Mais laissez-vous glisser un peu de ce côté,
Ainsi, comme l’oiseau qui descend de la branche.
Oh ! vous êtes charmans, anges de volupté !
Seulement je voudrais vous voir prendre des poses
Plus mondaines, des airs plus caressans, ma foi.
Le sérieux va bien à vos figures roses ;
Mais le sourire, allez, irait bien mieux, et moi

  1. Goethe insiste sur cette humeur lascive du chat, qu’il attribue à Méphistophélès. Déjà, dans la première partie, il en était question : « Je me sens comme la chatte efflanquée, qui se frotte contre les gouttières en glissant le long des murs ; en tout bien, tout honneur au moins ; envie de larron et chaleur de matou. » (Faust, Der Tragödie Th. I, S. 135.) — On le voit, du commencement à la fin, Méphistophélès est et demeure le vrai diable de la légende catholique ; il n’a rien autour de son front de ce ténébreux bandeau, de ce signe de fatalité que le beau Lucifer de Milton emprunte au paganisme des Grecs. Il n’intéresse pas, il ne séduit pas, il n’attire pas les ames vers l’abîme par une sorte d’influence sympathique ; il les y pousse avec rudesse et puissance. Méphistophélès, c’est la force du mal subissant la nécessité d’une incarnation inférieure et grossière, le génie de l’ange déchu empêtré dans le matérialisme de la brute. Sans cela, sans cette bestialité qui l’accable, le mal régnerait seul sur le monde ; il envahirait le ciel, il serait dieu. Heureusement, et cela dans ses plus audacieuses tentatives, sa nature basse et dégradée perce toujours par quelque point. C’est le pied de cheval, la puanteur du bouc, la luxure du chat, etc.