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rité ; toutefois de vieux habitans européens des îles Sandwich, gens nullement instruits, il est vrai, mais observateurs sérieux, m’ont fait partager leur opinion à cet égard. Ils croient que toutes les îles intertropicales de l’Océanie ont eu pour premiers habitans des Malais jetés sur ces côtes par des vents qui les avaient détournés de leur route, et voici sur quoi ils fondent leur croyance.

En 1822 ou 23, disent-ils, une jonque japonaise fut jetée sur la côte de l’île Mawi ; il y avait dix-sept hommes à bord, ils étaient à la mer depuis onze mois, et avaient perdu beaucoup de leurs compagnons. En 1832, une autre jonque japonaise arriva sur la côte sud de l’île Oahou ; quatre hommes la montaient ; ils mouraient de faim, et on fut obligé de prendre les plus grandes précautions pour leur sauver la vie. On les fit venir à Honolulu. Ils déclarèrent qu’il y avait environ dix lunes qu’ils étaient partis du Japon, qu’ils étaient alors trente-six hommes à bord, que peu de temps après leur départ, ils avaient éprouvé un coup de vent très fort qui soufflait de l’occident, qu’ils avaient été immédiatement jetés hors de leur route sans savoir où ils allaient ; qu’au bout d’un certain temps, le froid devint très vif, et qu’ils arrivèrent en vue d’une terre toute couverte de neige ; qu’alors plusieurs de leurs compagnons moururent de froid ; que long-temps le vent les avait poussés le long de cette terre inhospitalière ; qu’enfin le vent ayant changé, ils s’en étaient éloignés, et qu’après plusieurs lunes, le temps étant devenu graduellement plus chaud, ils avaient vu, très loin devant eux, une terre vers laquelle le vent les conduisait, et que c’était ainsi qu’ils avaient abordé aux îles Sandwich. Ils ajoutèrent que tous leurs compagnons avaient péri par la faim et les maladies, qu’ils avaient vécu eux-mêmes dans d’incroyables souffrances ; que d’abord ils s’étaient nourris de poisson, et qu’enfin ils s’étaient vus dans la nécessité de dévorer leurs compagnons morts. Depuis long-temps, dirent-ils, ils ne buvaient que de l’eau de pluie qu’ils recueillaient dans leurs voiles, et, quand la pluie leur manquait, ils buvaient de l’eau de mer.

Ces faits ne peuvent être mis en doute, ils m’ont été attestés par vingt personnes différentes ; mais ce qui faisait croire à ces personnes que la population sandwichienne devait son origine aux Malais plutôt qu’aux Japonais, c’est une certaine analogie dans le type de la physionomie des deux nations, et surtout la grande quantité de mots malais que l’on retrouve dans le dialecte des îles Sandwich. M. Reynolds, consul des États-Unis à Honolulu, m’a assuré qu’il y avait plus de deux cents mots malais dans la langue hawaiienne. Il est donc probable qu’une ou plusieurs embarcations malaises, chassées hors de leur route par un fort vent de sud-ouest, auront été entraînées vers la côte nord-ouest de l’Amérique ; que là elles auront trouvé des vents d’ouest qui les auront conduites jusqu’à une certaine longitude, où, rencontrant les vents alisés, elles auront été poussées jusqu’à une des îles de l’Océan pacifique. Ce qui est arrivé deux fois en quinze ans a dû ou a pu, du moins, arriver dans les temps antérieurs. Je soumets ces faits, sans autre réflexion, à l’examen des hommes capables d’approfondir cette matière.

La population des îles Sandwich a la peau d’un rouge cuivré ; les hommes