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LES ÎLES SANDWICH.

taille colossale, et bien lui en prit. Il arriva, un jour, que le soleil ne parut plus à Oahou ; les hommes étaient tristes, beaucoup d’entre eux devenaient fous, et de grandes maladies décimaient la population. De nombreuses victimes furent immolées au dieu, et, pendant deux lunes, toute l’île resta prosternée devant ses autels. Le roi d’une grande terre vers le sud (Taïti, sans doute) avait fait le soleil prisonnier, et, après l’avoir renfermé dans une caverne très profonde, il en avait bouché l’ouverture avec d’immenses blocs de lave. Ses précautions ne s’étaient pas bornées là : il avait placé en sentinelle près de l’ouverture un oiseau qui jette un cri perçant quand il entend le moindre bruit, et à la tête de ses plus intrépides guerriers, il était toujours prêt à fondre sur ceux qui oseraient tenter de délivrer le prisonnier. Mais tout cela n’intimida pas le puissant dieu d’Oahou qu’avaient ému les plaintes de ses adorateurs ; c’était un très grand dieu : quand il allait d’une île à l’autre, l’eau lui arrivait à la cheville ; et elle ne lui vint qu’au genou, quand il traversa la mer pour aller à la terre du sud. Lorsqu’il arriva à Taïti, il était nuit. Il s’avança si doucement, que l’oiseau ne l’entendit pas, et il l’étrangla avant qu’il eût pu pousser un cri ; puis, écartant de sa puissante main les blocs qui fermaient l’entrée de la caverne, il saisit le soleil et le lança en l’air avec une force incroyable. Quand il fut à une certaine distance du rivage, il jeta un grand cri qui réveilla le roi de Taïti et ses guerriers : ceux-ci coururent à la caverne ; mais leur étonnement fut grand lorsqu’ils virent que le soleil était délivré. Le dieu d’Oahou l’avait lancé à une si grande hauteur, qu’ils ne purent jamais le reprendre. Depuis ce temps, le soleil a toujours brillé à Oahou.

Chacun des dieux avait ses prêtres qui vivaient grassement de l’autel ; leur influence était très grande, et souvent, dit-on, ils tenaient en leurs mains les destinées des chefs et des rois. Tamea-Mea assuma sur lui seul toute l’autorité spirituelle ; il fut à la fois conquérant et souverain pontife ; il sentait toute la force que lui donnait cette réunion de pouvoirs, et jamais les efforts des missionnaires, qui arrivèrent des États-Unis peu de temps avant sa mort, ne purent obtenir de lui qu’on portât la moindre atteinte aux croyances religieuses du pays. — Votre religion, répondait-il, quand on lui en parlait, est peut-être très bonne pour votre nation ; mais les dieux d’Hawaii sont nécessaires à la nation d’Hawaii : ce sont eux qui m’ont donné la force pour conquérir, ce sont eux qui me donnent la puissance pour régner. Je ne connais pas votre dieu ; pourquoi abandonnerais-je les miens ? — Pour un sauvage, Tamea-Mea se montrait politique assez habile ; il sentait combien l’influence religieuse devait avoir de force sur la population qu’il gouvernait ; la puissance était entre ses mains, et il savait bien qu’elle passerait toute entière aux mains des hommes qui donneraient à la nation un nouveau dieu dont ils seraient eux-mêmes les prêtres ; il adoucit cependant quelques-unes des rigueurs du tabou.

Le tabou, dont j’ai déjà parlé plusieurs fois, était une interdiction, tantôt religieuse, tantôt civile, d’user de certaines choses, de les toucher ou même