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désordres ; tandis que la perspective d’un terrible supplice, d’une misère sans secours pour lui et pour les siens, doit éveiller en lui une énergie désespérée qui le relève de son abjection.

Nous reproduisons ces argumens sans y souscrire. Nos convictions, d’accord avec nos sympathies, sollicitent cette bienveillante tutelle que désire M. de Gérando. Le système qui proscrit toutes les institutions charitables est tellement exagéré, que ceux qui le professent en théorie reculent devant les rigueurs de l’application, et font grace à certaines classes d’infortunés, qu’on ne peut sans inhumanité rendre responsables de leurs misères, les invalides, les enfans, les vieillards. Souvent même, demanderons-nous, n’y aurait-il pas beaucoup de sévérité à punir un individu des vices de son organisation, qui le disposent à l’inertie ou aux violens écarts ? Les habitudes physiques ou d’éducation ne deviennent-elles pas une seconde nature, et les penchans presque irrésistibles qu’elles développent ne sont-ils pas de trop réelles infirmités ? En fait, la nécessité prend rarement conseil de la théorie, et tranche brutalement la question. Dans un pays comme l’Angleterre, où la disproportion des fortunes, les secousses du crédit, les hasards de la spéculation, rompent souvent l’équilibre qui doit exister entre les moyens de travail et la population, entre les salaires et les denrées, il n’y a pas à discuter. L’établissement légal d’un secours est une mesure commandée aussi impérieusement par la prudence que par la commisération. Mais ce remède est affligeant et honteux ; il est plein de périls, et, dans la crise industrielle qui agite l’Europe, le premier devoir des hommes d’état est de modérer les tendances qui peuvent conduire à ces extrémités.

Les règles de la bienfaisance publique sont sagement tracées par M. de Gérando. La première opération de l’administrateur doit être de démêler, dans la foule de ceux qui sollicitent des secours, l’indigence réelle de la pauvreté simulée. Il y a des gens pour qui l’apparence de la misère n’est que l’enseigne d’une industrie lucrative. Les mendians ont calculé, dit-on, qu’une personne leur donne sur vingt à qui ils s’adressent ; et c’est pour cette raison qu’en certains pays ils appellent la rente qu’ils prélèvent sur le public le cinq pour cent. Suivant M. de Villeneuve, leur nombre doit s’élever à trente mille pour toute la France. On estime qu’ils gagnent à Paris de 9 à 12 francs par jour. Il est d’usage entre eux de se réunir une fois par semaine ; les haillons sont jetés bas, les plaies se ferment, les membres se redressent, le masque piteux et la voix traînante sont remplacés par les éclats d’une grosse gaieté qu’alimente l’orgie. Lorsqu’ils sont enclins à la sordide avarice, affranchis de toute représentation, il leur devient facile d’accumuler. Quelques-uns ont laissé à leurs héritiers une sorte d’opulence. Un fait qui tient du prodige est celui de Thomas Humm, qui mendiait encore en 1838 sur les grandes routes du comté d’Essex, et qui vient de laisser, assure-t-on, 1,700,000 livres sterling, ou 42,500,000 francs. Loin d’avoir droit à la sympathie, la mendicité impudente, effrontée, est une extorsion qui appelle la juste rigueur des lois.

Parmi ceux dont l’indigence est réelle, il y a distinction à faire entre les valides et les invalides. Les premiers n’ont droit qu’au travail ; encore doit-on