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DES CLASSES SOUFFRANTES.

notre agriculture, sur les inconvéniens du système hypothécaire qui permet si difficilement aux propriétaires d’immeubles de profiter des avantages du crédit. Après des considérations d’économie générale non moins dignes d’être méditées, M. de Gérando rentre dans son sujet et se livre à de consciencieuses études sur les maisons de travail envisagées comme élémens du système des secours publics ; il signale avec impartialité les objections de la théorie et les mécomptes de la pratique, et n’en conclut pas moins, à la nécessité, à la possibilité de ces établissemens ; selon lui, les opposans n’ont prouvé qu’une seule chose, qu’il faut des efforts soutenus et une rare habileté pour employer les indigens d’une manière qui leur soit utile sans être onéreuse à l’état. M. de Gérando se montre beaucoup moins favorable à l’institution des colonies agricoles en France, et il espère fort peu des émigrations qui, d’ordinaire, sont plutôt déterminées par l’avidité que par la détresse. C’est enfin dans l’amélioration des mœurs populaires qu’il entrevoit, pour le peuple, les plus sûres garanties d’indépendance et de bien-être, et les institutions sur lesquelles il s’arrête avec plus de complaisance sont celles qui, comme les caisses d’épargne et les sociétés d’assistance mutuelle, sont de nature à faire fleurir la prévoyance et le respect de soi-même.

Persuadons-nous bien, au surplus, qu’il n’y a pas de règle générale en pareille matière ; que telle mesure, utile en certains pays, serait déplorable en beaucoup d’autres, que ce qui a échoué en un temps pourrait réussir plus tard. Ils poursuivent la pierre philosophale, ces économistes qui cherchent, comme couronnement de leur science, la loi de la distribution des richesses, c’est-à-dire le moyen de bannir l’indigence et d’assurer le repos public par un équitable partage des acquisitions sociales. La tendance des forces morales ne peut pas se déterminer par une formule absolue comme celle des forces inertes. Il y a, dans l’imprévu des passions, dans le jeu de la liberté humaine, des puissances inconnues, incalculables, qui renverseront toujours l’échafaudage dressé à l’avance par la théorie. Ce n’est donc pas en combinant un système tout d’une pièce qu’on peut espérer de prévenir la misère : c’est en étudiant au jour le jour les besoins qui se révèlent, en appropriant le remède à l’état moral de chaque localité, en se faisant la loi de ne pas réaliser un seul acte administratif de quelque genre qu’il soit, avant de s’être demandé quel en pourra être l’effet direct, ou même le contre-coup éloigné dans les régions les plus inférieures. Une société comme la nôtre, qui, après avoir égalisé tous les droits et follement dissipé les sentimens d’abnégation et de devoir dans l’intérêt commun, n’a conservé d’autre ressort que la pondération des intérêts matériels, exige des hommes d’état qu’elle emploie, une grande vigilance, un diagnostic des plus sûrs. Dans toutes les affaires qui surgissent, ils doivent se constituer d’office les défenseurs des classes qui naissent dans les conditions les moins favorables, et contrebalancer, autant que la légalité le permet, l’action entraînante de la richesse. Il est juste de dire que, sinon toujours par sympathie, au moins par prudence, les pouvoirs qui se sont succédé depuis le commencement de ce siècle, ont rarement méconnu cette règle ; et, dans les rangs populaires,