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taires. Tel est le sort qui est fait aujourd’hui aux enfans trouvés. Or, ils forment chez nous une population de 130,000 individus âgés de moins de douze ans, dont l’entretien pèse sur 271 hospices, et on évalue à près d’un million le nombre de ceux qui, appartenant à cette classe par leur origine, ont été élevés successivement aux frais de la société. La dépense annuelle, allégée récemment par des mesures économiques, atteint à peu près la somme de dix millions de francs, fournis en grande partie par le budget et complétés par les cotisations communales, les revenus affectés aux hospices et autres ressources éventuelles.. Mais la plus précieuse libéralité qu’on puisse faire au pauvre délaissé est celle des tendres soins, des sentimens affectueux ; et ce genre de bienfait, il le reçoit souvent de la famille pauvre dans laquelle il est placé. Quand il atteint l’âge où la modique subvention est supprimée, la bonne femme qui lui a prêté son sein, le nourricier qui l’a fait sautiller dans ses bras, ne savent plus le distinguer de leurs autres enfans. L’adoption de l’orphelin en ce cas est très ordinaire ; qu’on ne pense pas qu’elle se fait en vue seulement des services qu’il peut rendre. En 1834, plusieurs départemens se concertèrent pour un échange de leurs enfans trouvés, prévoyant bien que beaucoup de mères se décideraient à les retirer de peur d’en perdre la trace. Dans 31 départemens qui appliquèrent cette mesure, plus d’un tiers des nourriciers renoncèrent à la pension plutôt que de se séparer du petit malheureux. Ainsi, par un commun mouvement, onze à douze mille familles des plus pauvres et, comme de coutume, des plus chargées d’enfans, se donnèrent chacune un enfant de plus[1].

Il y a des abandonnés plus à plaindre encore que ceux qui n’ont aucun lien de parenté : ce sont ceux qui ne pourraient respirer dans leur famille qu’un air vicié, ou ceux qu’une insouciance coupable livre aux hasards du vagabondage. L’Allemagne leur a donné le nom expressif d’orphelins moraux. À défaut de la prévoyance publique, la charité volontaire veille sur ces malheureux. Des sociétés, sous le nom de Providence, se sont formées dans presque toutes nos provinces ; celles de Lyon et de Grenoble acceptent chacune la charge de plus de 600 enfans. Une classe que son isolement au milieu des grandes villes, et la pénible industrie qu’elle exerce, exposent à des dangers de plus d’un genre, a trouvé enfin de généreux protecteurs. Il s’agit des petits Savoyards,

  1. Le sort des enfans trouvés, l’opportunité ou le danger des asiles que la charité leur assigne, les règles que l’administration doit suivre pour leur adoption, sont des problèmes dont la difficulté égale l’importance. M. de Gérando leur a consacré la plus grande partie de son second volume, c’est-à-dire une place qui excède l’étendue des autres ouvrages spéciaux. L’examen des nombreuses publications auxquelles les enfans trouvés ont donné lieu depuis deux ans, nous ramènera bientôt sur ce second volume de M. de Gérando. Nous nous contenterons de dire aujourd’hui que sa modération consciencieuse ne l’abandonne pas sur ce terrain, et qu’il s’y place, avec MM. Terme et Monfalcon, entre deux extrémités. Il se prononce pour la suppression des tours, l’admission des enfans à bureau ouvert, avec secret relativement au public, mais droit d’enquête pour les administrateurs. Il réprouve aussi l’impitoyable manœuvre du déplacement.