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LOPE DE VÉGA.

Ce fut, dit-on, à la prière du duc Antonio, et dans le but de lui plaire, que Lope de Véga écrivit son roman pastoral de l’Arcadia. Montalvan qualifie ce roman d’énigme mystérieuse sur des sujets très relevés, bien que déguisée sous les humbles enveloppes de la vie pastorale. L’énigme fut bien accueillie, et devait l’être dans un temps et dans un pays où tout le monde pouvait la deviner, et, sous un nom de berger ou de bergère, reconnaître un grand seigneur ou quelque illustre dame de la cour de Philippe II. Aujourd’hui une telle fiction n’a plus aucune prise sur la curiosité, et n’en peut guère avoir sur l’imagination : le faux, le disparate et l’insipide restent trop à découvert. Lope de Véga a grand soin de nous dire que ses bergers ne sont ni si rustiques, ni si simples, qu’ils ne puissent, dans l’occasion, se montrer courtisans et philosophes. C’est justement pour cela qu’ils nous intéressent si peu, doublement manqués au point de vue de l’histoire et de la poésie.

On croit que Lope de Véga resta plusieurs années au service du duc Antonio. Dans ce cas, il devait y être encore lors de son premier mariage, et il n’est pas invraisemblable de supposer que le patronage du duc ne lui manqua pas et ne lui fut pas inutile en cette grave occasion. Quoi qu’il en soit, il est certain qu’immédiatement après avoir secoué le joug de Dorothée et de Marfise, Lope lia connaissance avec Isabelle, fille de don Diego d’Urbina, noble personnage attaché à la cour de Madrid en qualité de héraut ou de roi d’armes. Isabelle d’Urbina est citée comme une personne d’un rare mérite. Montalvan, qui l’avait connue, dit qu’elle était belle sans artifice, sage sans pédanterie et vertueuse sans affectation. C’est peut-être elle que Lope a célébrée sous le nom de Lucinda dans une assez longue suite de sonnets où abondent les traits gracieux. Il l’épousa, on ne peut dire au juste quand, mais, selon toute apparence, dans le cours de l’année 1584. Ce mariage, qui ne promettait aux deux époux que bonheur et tranquillité, fut presque aussitôt traversé par les peines les plus cruelles : ces peines ne venaient point d’Isabelle, qui les supporta avec un grand courage ; elles furent sans doute plus amères pour Lope, qui pouvait les regarder comme la suite et l’expiation des désordres amoureux de sa jeunesse. À peine achevait-il de se recueillir dans les douceurs de sa nouvelle situation, qu’il fut arrêté par la justice, jeté en prison et menacé d’un procès criminel.

Tous ceux des contemporains de Lope qui ont parlé de lui, n’ont pas négligé de mentionner cette brusque persécution ; tous devaient en savoir la cause, aucun ne l’a dite. Pollicer se contente d’y faire