Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 19.djvu/644

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
640
REVUE DES DEUX MONDES.

manes, sentiment qui est évidemment d’origine orientale et non chrétienne, et qu’on peut citer parmi le très petit nombre de traits de vérité locale conservée dans les romans de chevalerie.

Quant aux hommes, on ne voit pas que l’amour soit jamais pour eux le principe de la valeur et des belles actions. L’estime qu’ils font de la femme est médiocre. Rustem préfère évidemment son cheval Raksch à la séduisante fille du roi de Touran. Le malheur d’avoir une fille au lieu d’un fils est exprimé fort crûment par ces paroles : « Sachez qu’il a une bonne étoile, celui qui ne possède pas de fille, et que celui qui en a ne connaîtra pas le bonheur. » Voici une réflexion de Firdousi au sujet des machinations perverses de la belle-mère de Siavesch : « Telle est la femme. Aussi le schah Keikobad dit : Que les femmes et les dragons soient maudits ! la terre est meilleure que cette engeance. Si tu loues les femmes, loue plutôt les chiens ; ils le méritent mieux que ces impures. »

Dans tout cela je ne saurais voir l’adoration de la femme, adoration qui fut l’ame de la chevalerie en Occident. Au contraire, l’idée orientale de l’infériorité de la femme est énergiquement proclamée. Partout où règne l’islamisme, il doit tendre à fortifier cette fausse et dégradante idée, qui, du reste, se retrouve en Orient dans les cosmogonies, où le sexe féminin est attribué au principe matériel, et jusque dans le dogme juif, d’après lequel c’est par une femme que le mal s’introduit dans le monde. Quant aux pays mahométans, la polygamie et la clôture, quelque restreintes qu’elles soient par l’usage, témoignent au fond d’un mépris réel pour les femmes ; et rien ne le déclare plus insolemment que la doctrine musulmane selon laquelle elles ne peuvent, dans l’autre vie, recevoir que la moitié des peines et des récompenses réservées pour les hommes. Dans son indulgence insultante, la législation du Coran réduit aussi de moitié la pénalité qu’elle inflige en ce monde aux esclaves. L’assimilation est remarquable, et nous voilà bien loin de la galanterie chevaleresque.

En revanche, plusieurs portions du Livre des Rois offrent les rapports les plus frappans avec la principale des traditions héroïques conservées dans l’Edda et les Niebelungen. On ne doit pas beaucoup s’en étonner. Dans la famille des langues indo-germaniques, la branche persane et la branche germanique se tiennent de près. Parmi les idiomes parlés par cette famille de peuples, les langues germanigues se rapprochent plus qu’aucune autre de l’ancienne langue de la Perse. C’est l’opinion de M. Eugène Burnouf, qui, avec une si admi-