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LE SCHAH-NAMEH.

l’on veut les diaskevastes, c’est-à-dire les arrangeurs qui ont mis en ordre la poésie homérique, ont distribué les différentes portions du récit avec un art naturel ou une ingénieuse adresse, de telle sorte que ce récit, tout en suivant fidèlement la marche des évènemens traditionnels, pût soutenir, suspendre et ranimer sans effort l’intérêt des auditeurs. Il ne s’agit que d’un fait, au lieu d’une série immense de faits. Le récit peut donc être beaucoup plus développé, et le poète, qui n’a point inventé l’ensemble, peut du moins mettre infiniment plus d’invention dans les détails.

On ne saurait nier qu’il n’y ait une habileté calculée, inspirée peut-être, soit dans l’incertitude ou le succès alternatif et longtemps balancé des Troyens et des Grecs, le partage des dieux, l’hésitation de Jupiter et l’absence d’Achille laissant flotter les destinées d’Ilion et d’Argos, soit dans les contrastes, souvent reproduits par Homère, entre les scènes turbulentes des combats et des scènes d’un charme voluptueux ou domestique, comme la séduction de Jupiter par Junon ou les adieux d’Hector. Rien de pareil chez Firdousi ; il raconte les évènemens à mesure qu’ils se présentent. Il a la marche de l’histoire avec le langage de la poésie ; il déroule un panorama plutôt qu’il ne compose un tableau.

Firdousi ne sait guère que suivre les évènemens qu’il raconte ; il ne sait pas se transporter librement d’un point à un autre et donner au récit plusieurs centres indépendans. Enchaîné à ses personnages, il va là où ses personnages le mènent, il ne marche et n’arrive qu’avec eux. Homère, au contraire, se meut au sein de sa narration avec une pleine liberté. Il n’a pas besoin qu’un de ses personnages suive une certaine route pour faire le même chemin. Le poète persan ne parle du pays de Touran que lorsqu’un héros iranien y est conduit par une aventure ; mais Homère va sans cesse du camp des Grecs aux remparts de Troie, sans que personne marche devant lui ; le théâtre de la narration se déploie et voyage chaque fois, et, sur ce nouveau terrain où le poète vient s’établir, il attend pour ainsi dire les évènemens et les personnages qu’il y appellera. Chez Firdousi, la scène est immobile ou elle est portée pour ainsi dire à la suite des faits ; chez Homère, la scène est mobile, il la déploie à volonté, tour à tour au milieu de la mêlée, près du foyer, sous la tente, sur la plage, aux sommets de l’Olympe.

Les batailles sont multipliées dans le Livre des Rois, comme dans l’Iliade, les Niebelungen, les poèmes chevaleresques, où les coups de lance, de massue et de glaive ne font pas défaut. Notre goût trouve