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opiniâtrement panthéiste, est resté sous le joug de ses brahmanes ; le dualisme a prévalu chez les Persans, peuple énergique et guerrier : aussi le Livre des Rois est un poème héroïque ; le Mahabarat et surtout le Ramayana sont des poèmes théocratiques. Les personnages, purement humains dans le premier, sont, dans les deux autres, des manifestations de la Divinité. Le sujet principal du Mahabarat paraît être l’histoire de Krichna, incarnation du dieu Vichnou. Le même Vichnou descend dans le sein des quatre épouses du roi Dascha-Rata et s’incarne à la fois dans le personnage de Rama et dans ceux de ses trois frères. Tout dans ces épopées est surhumain comme les héros eux-mêmes. Des récits cosmogoniques et mythologiques y sont fréquemment introduits, et y tiennent une place considérable.

Le rapport des brahmanes et des kchatryas (guerriers) marque assez que les premiers sont les auteurs de cette poésie[1] ou du moins lui ont donné son caractère.

L’idéal poétique, c’est le renoncement au monde. Rama lui-même mène la vie d’un pénitent, et c’est là sa plus insigne gloire. Les expressions dont se servent les rois en s’adressant aux brahmanes, expriment toutes une profonde humilité et une dévote adoration. Le langage des brahmanes respire au contraire la plus hautaine arrogance. La lutte du sage Vaschichta et du roi Viswamitra peint parfaitement l’attitude réciproque des deux castes[2]. On y trouve des paroles comme celles-ci : « Oh ! kchatrya, vil comme la poussière. » Ailleurs, en parlant d’un prince accompli, on a soin de dire que le modèle des rois, à l’occasion d’un sacrifice, donna dix millions aux brahmanes.

Le pouvoir du brahmane est présenté comme supérieur à celui des dieux même. L’ermite Gaatama traite avec le dernier mépris Indra, dieu du ciel, qui avait tenté de séduire son épouse, et qui joue devant lui le rôle le plus honteux. Un autre ermite, voulant donner une fête à Rama, ordonne aux dieux, aux fleuves, aux plantes, de concourir aux enchantemens qu’il prépare, et tout dans le ciel et dans la nature obéit à la parole du brahmane.

Rien ne ressemble moins à l’épopée persane, dans laquelle le mer-

  1. Valmiki, auteur du Ramayana, est représenté comme un anachorète (mouni) qui a reçu la tradition de Naradas, personnage divin. Lui-même dit d’une histoire qu’il raconte : « Elle était contenue dans une ancienne chronique qui m’a été racontée par un vénérable prêtre. » (Ramayana, éd. de Sirampore, in-4o, t. I, pag. 117.)
  2. Ibid., 428.