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DE LA MISE EN SCÈNE CHEZ LES ANCIENS.

gêné les comiques. Jusqu’à l’archontat d’Euclide, la liberté du théâtre fut à Athènes ce qu’est parmi nous la liberté de la presse et des journaux, un principe et une des bases de la constitution. Cette liberté n’était restreinte dans l’origine que par la défense de mal parler des morts[1], ce qui impliquait la faculté de parler comme on le voudrait des vivans. Quelques critiques pensent même que le droit de blâme et d’invectives personnelles n’était pas seulement sous-entendu, mais exprimé dans la loi. On cite[2] à l’appui de cette opinion, que je crois outrée, ce passage de la République de Cicéron : « Apud Græcos fuit lege concessum ut quod vellet comœdia, de quo vellet, nominatim diceret, » et quelques paroles plus formelles de Thémistius à propos d’Eupolis[3]. Mais, autorisée ou non par un texte précis, la faculté de traduire sur le théâtre la vie publique et privée des citoyens exista de fait à Athènes, sauf quelques rares interruptions, depuis la 78me jusqu’à la 94me olympiade[4]. Alors, les sujets le plus ordinairement traités dans les comédies étaient les évènemens du jour ; alors ce fut le droit et l’usage des poètes de mettre en scène avec leur nom véritable et sous leurs propres traits, habilement reproduits par des masques[5], les personnages les plus illustres, généraux, orateurs, poètes, magistrats, philosophes. La dignité d’archonte mettait seule à couvert de cet outrage[6]. Encore cette inviolabilité était-elle peu sûre. Aristophane, pour se moquer impunément de l’archonte Aminias, n’eut qu’à changer une lettre de son nom ; ce qui prouve ou que les archontes ne censuraient pas alors, comme je le crois, les ouvrages dramatiques, ou qu’ils se faisaient scrupule d’exercer la censure à leur profit.

J’ai parlé de quelques suspensions survenues dans ce régime de liberté. La 1re année de la 85me olympiade, sous l’archontat de Morychidès, les piqûres de l’aiguillon scénique ayant paru trop insupportables aux gouvernans, et surtout à Périclès, on ne censura pas les poètes comiques, on leur ferma le théâtre. La comédie, qui n’avait obtenu qu’à grand’peine, et bien long-temps après la tragédie, de

  1. Schol., In Aristoph. Pac., v. 647.
  2. Aug. Meineke, Hist. crit. comic. Græc., pag. 39.
  3. Themist., Orat. VIII, pag. 110, B.
  4. Les attaques des poètes comiques furent si nombreuses, qu’Hérodicus, disciple du grammairien Cratès, dressa un volumineux catalogue (dont Athénée cite le 6e livre, qui peut-être n’était pas le dernier), uniquement composé des noms de ceux qui avaient été en butte à la malignité des comiques. V. Athen., lib. XIII, pag. 586, A.
  5. Platon., De Differ. comœd., pag. XXXV, 20.
  6. Schol., In Aristoph. Nub., v. 31.