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DE L’INDUSTRIE LINIÈRE.

subite des produits anglais, se résignassent sans murmure à une perte si sensible. Aussi des plaintes et des réclamations se sont élevées de toutes parts, surtout en France, principal débouché des fils anglais, et dès le commencement de l’année dernière des pétitions couvertes d’innombrables signatures ont été adressées tour à tour au gouvernement et aux chambres, pour réclamer une assistance, cette fois trop légitime. Il faut le dire, ces plaintes, si bien justifiées par les circonstances, ont éveillé de bonne heure la sollicitude du pouvoir. Elles ont été, dans les mois de mai et juin 1838, l’objet d’une enquête lumineuse, qui a mis à nu les ravages du mal et démontré l’urgente nécessité d’un remède, et le gouvernement a compris dès-lors ce que la situation lui commandait. Mais il est arrivé, ce qui n’arrive que trop souvent dans des circonstances semblables, que les résistances des intérêts contraires ont d’abord suspendu l’effet de ce bon vouloir, et que les vicissitudes ministérielles sont ensuite devenues l’occasion d’un ajournement indéfini.

Cette question d’intérêt public est trop pressante pour que nous la séparions de l’exposé des faits. Ainsi, après avoir jeté un coup d’œil sur l’état antérieur de l’industrie linière, nous prendrons à son origine et nous suivrons dans sa marche la révolution qu’elle a subie. Nous essaierons de déterminer la nature et la valeur des découvertes qui ont été faites, en même temps que nous indiquerons par aperçu les progrès qui restent encore à accomplir. L’influence que ces découvertes ont exercée sur la situation respective de la France et de l’Angleterre n’échappera point à nos remarques. Nous dirons aussi ce qu’on a fait en France pour se les approprier, et à quel point ce mouvement de rénovation est arrivé parmi nous. Enfin, après avoir présenté, autant que l’espace nous l’aura permis, l’ensemble des faits qui appartiennent à l’histoire, nous nous croirons autorisé à aborder la question d’économie politique, en indiquant sommairement les mesures de conservation et de prévoyance que la situation actuelle nous semble commander.

L’industrie du lin est fort ancienne ; il y a long-temps qu’elle est connue en Europe, et il y a long-temps aussi qu’elle y occupe un rang fort distingué dans l’ordre des travaux productifs. Si haut que l’on remonte dans l’histoire des peuples modernes, on trouve des monumens qui attestent à la fois son existence et sa vigueur. C’est une de ces vieilles industries de source primitive, qui ont vécu, qui ont grandi avec les peuples de l’Europe, en suivant pas à pas tous les progrès de leur accroissement. La plante qui fournit la matière première, le lin, est, dit-on, originaire du grand plateau de la Haute-Asie, d’où elle a été transportée en Europe ; mais elle s’est naturalisée si tôt dans sa nouvelle patrie, elle y a prospéré si bien, qu’à peine imagine-t-on qu’elle y ait jamais été absolument étrangère. De bonne heure cette industrie a partagé avec celle des laines le privilége de vêtir les hommes, sans compter qu’elle répondait à un nombre infini d’usages domestiques et autres, pour lesquels les tissus de laine n’étaient pas propres. Aussi s’est-elle identifiée dès-lors à l’existence des peuples, en se mêlant à tous les accidens de la vie humaine.

Par sa nature, cette industrie n’était guère susceptible de se concentrer sur