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démocratie littéraire les vrais principes de l’indépendance et du goût. Il est dommage que d’autres fonctions suprêmes l’aient enlevé avant qu’il ait pu exprimer ce qui dans sa bouche aurait eu une autorité charmante. Mais tant que cette espèce de courage ne manquera pas aux hommes de talent haut placés, il y aura de la ressource contre le mal.

M. de Balzac, qui a été nommé président à l’unanimité en remplacement de M. Villemain, aidera peut-être au même résultat par des moyens contraires. Homme d’imagination et de fantaisie, il la porte trop aisément en des sujets qui en sont peu susceptibles, et il pousse, sans y songer, à des conséquences fabuleuses dont chaque œil peut redresser de lui-même l’illusion. Sa lettre sur la propriété littéraire que nous avons déjà indiquée, est faite par ce genre d’excès pour remettre les choses au vrai point de vue : elle ne tend à rien moins qu’à proposer au gouvernement d’acheter les œuvres des dix ou douze maréchaux de France, à commencer par celles de l’auteur lui-même qui s’évalue à deux millions, si j’ai bien compris. Vous imaginez-vous le gouvernement désintéressant l’auteur de la Physiologie du Mariage afin de la mieux répandre, et débitant les Contes drolatiques comme on vend du papier timbré ? Des conséquences si drolatiques sont très propres à faire rentrer en lui-même le démon de la propriété littéraire, dont. M. de Balzac n’a peut-être voulu, après tout, que se moquer agréablement.

Non ; quel que soit à chaque crise son redoublement d’espérance et d’audace, la littérature industrielle ne triomphera pas ; elle n’organisera rien de grand ni de fécond pour les lettres, parce que l’inspiration n’est pas là. Déjà en deux ou trois circonstances notables, depuis plusieurs années, elle a échoué fastueusement. Elle avait rallié des noms, des plumes célèbres, sans lien vrai ; elle les a compromises, décréditées plutôt en détail, sans en rien tirer de collectif ni de puissant. Déjà on l’a vue à l’œuvre dans cette entreprise gigantesque qui s’intitulait l’Europe littéraire, une autre fois dans la Chronique de Paris renouvelée, une autre fois et plus récemment dans la presse à quarante francs. Au théâtre, elle a eu à sa dévotion la scène de la Renaissance : qu’en a-t-elle fait ? Grace aux promptes rivalités, aux défections, aux exigences, cet instrument dérouté se réfugie dans la musique et se sauve, comme il peut, par des traductions d’opéra italien. Le drame industriel a eu, à d’autres momens, d’autres théâtres encore, la porte Saint-Martin, l’Odéon, les Français même, qui, pour n’en pas subir les conditions ruineuses, ont dû