Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 19.djvu/699

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
695
SALERNE ET PŒSTUM.

belle végétation, et sur lesquelles sont groupées, de distance en distance, un grand nombre de gracieuses habitations ; ces maisons sans toits, blanches comme l’ivoire et ombragées de cyprès et de pins d’Italie, ont quelque chose d’africain ; un de nos compagnons de voyage trouvait une ressemblance frappante entre ce paysage de la Cava et les gorges de l’Atlas, du côté de Belida. Des paysans, vêtus seulement d’une chemise et d’un caleçon de toile, qui laissent voir leurs bras et leurs jambes cuivrés, et qui, tout en cheminant, dînent avec une poignée de fèves crues, complètent la ressemblance.

Il suffit de jeter un coup d’œil sur les rues et les places de la Cava pour reconnaître un pays de manufactures. C’est là que se fabriquent les meilleurs draps du royaume. Les ouvriers de ces manufactures sont à peine vêtus ; ils n’ont cependant pas l’air morne et souffrant des ouvriers anglais. Ils chantent à tue-tête, et se démènent au milieu de leurs métiers comme autant de singes, ou bien ils dorment à l’ombre d’un mur. La plupart sont remplis d’intelligence, et, si chez eux l’amour du travail était en raison du besoin et de l’adresse, ce seraient les premiers ouvriers du monde. Les ouvriers sont bien payés, surtout pour un pays où les denrées sont à vil prix ; cependant, quand l’occasion se présente, ils mendient effrontément. Pour nous ouvrir un passage à travers ces bras et ces mains tendus, il fallut que notre cicerone levât son bâton. C’est un remède héroïque, mais le seul qui soit efficace. Je m’attendais à voir quelques-uns de ces colosses, taillés en Hercule, se relever et assommer l’imprudent ; nullement : ils tournèrent le dos, et, tout en se garant de leur mieux, ils, retournèrent en riant à leurs métiers. Un étranger qui se permettrait une pareille insolence dans un atelier français, serait sur l’heure mis en pièces ; mieux vaudrait pour lui qu’il passât entre les cylindres et les dents des machines : autre peuple, autres mœurs. Mais aussi l’étranger, au sortir de la fabrique française, est à peu près sûr de retrouver sa bourse et sa montre dans sa poche, tandis que celui qui sort de la fabrique napolitaine, s’il n’a pas pris ses précautions, pourra bien trouver ses poches retournées. C’est du moins ce que nous ont assuré nos amis de Naples ; aussi étions-nous sur nos gardes.

Le pays renfermé entre les monts Falesio, Albinio et la mer, et qui s’étend, d’un côté, de la Cava à Salerne, de l’autre, de la Trinité de la Cava à Vietri, peut être considéré comme la terre classique des paysagistes. Il est impossible d’imaginer de plus belles lignes de montagnes, de plus beaux groupes de fabriques, plus de richesse de végétation et un plus sublime assemblage de ravins, de rochers et de ruines. La ligne de mer, qui se montre à l’horizon entre les montagnes comme un bandeau d’émeraude ou de lapis, termine admirablement chacun de ces tableaux, auxquels elle donne une infinie profondeur. Ce paysage est bien supérieur aux sites si vantés de la campagne romaine ; il offre la réunion de deux qualités qui semblent s’exclure, et dont l’une au moins manque au paysage de l’Ariccia, de Castel-Gandolfo et de Frascati : grandeur et gaieté.

Le fameux monastère de bénédictins de la Trinité de la Cava est situé sur les pentes escarpées du mont Falesio (ce nom donné à ces roches en falaises