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plonge profondément dans la mer. Quelques-unes de ces roches, détachées du bloc principal, forment de petits îlots autour desquels sont groupés nombre de barques occupées à la pêche des coquillages et des langoustes qui se réfugient dans leurs interstices. Du côté de Salerne, l’une de ces roches, de la grosseur d’une maison, minée par la mer, s’est fraîchement détachée de la colline sur laquelle Vietri est bâti. Le rebord de la ravine d’où l’énorme dent est partie est béant et avivé comme une gencive saignante. Tout à côté de cette déchirure sont placées des maisons qui semblent n’avoir été préservées que par miracle d’une ruine totale, et qui à la prochaine tempête devront infailliblement s’abîmer dans les flots.

C’est à l’entrée de Vietri, sur le chemin de la Cava, qu’est située l’une des plus belles fabriques de glaces et de verreries du royaume de Naples.

En sortant de Vietri, la route semble se précipiter dans la mer, mais tout à coup elle fait un détour vers la gauche, et à l’extrémité d’une belle rampe de rochers on aperçoit Salerne, son golfe et son château perché sur un piton détaché de l’amphithéâtre des montagnes au milieu desquelles la ville est construite. Salerne, l’une des villes les plus importantes du royaume de Naples, et qui ne renferme pas moins de vingt-quatre mille habitans, n’a guère qu’une seule belle rue, celle qui longe le port. Au premier aspect, on croirait même que c’est là toute la ville, mais si de cette rue ou plutôt de ce quai on se dirige par de petits passages voûtés vers le rocher au haut duquel est bâti le château, on s’égare dans un labyrinthe de voûtes obscures et de rues étroites dont les maisons sont comme soudées l’une à l’autre par de lourdes arcades liant les deux côtés de la rue. Ces arcades de toutes grandeurs et de toutes formes, ogivales, en plein cintre, et dont quelques-unes servent de pont pour passer d’une maison à l’autre, peuvent être regardées comme une sorte d’assurance mutuelle contre les tremblemens de terre. De cette façon, toutes les maisons se trouvent arc-boutées entre elles, et, pour en renverser une seule, il faudrait que la secousse renversât le quartier tout entier. Les précautions contre les tremblemens de terre auxquels la ville était fort sujette autrefois, sont d’autant mieux prises que, non content d’arc-bouter les maisons à l’extérieur, les habitans les ont aussi consolidées intérieurement. Toutes les chambres de quelque étendue sont voûtées. Ces voûtes se croisent, s’entrelacent, s’appuient l’une sur l’autre, de sorte que chaque pièce ressemble à la chapelle d’un château gothique.

Salerne, ville antique, n’a laissé aucun édifice ni même aucune ruine qui puisse témoigner de son ancienne importance. Quelques substructions informes sur lesquelles on a élevé les maisons modernes, une vingtaine de colonnes de divers ordres et de grandeurs différentes, enfouies dans l’écurie de l’archevêché, ou engagées aux angles des rues dans les murailles de maisons construites il y a deux ou trois siècles ; voilà tout ce qui reste de l’ancienne ville romaine. Salerne, capitale des princes normands, a conservé de curieux monumens de la domination de ces conquérans aventureux ; sa cathédrale, ses aqueducs et son château.