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coton en ruban. À peu près à la même époque (1767), un pauvre ouvrier tisserand du Lancashire, James Hargreaves, faisait faire à la mécanique un pas encore plus audacieux en inventant sa spenning-Jenny, littéralement Jeanne la fileuse ; bientôt Samuel Crompton, autre ouvrier, combinant avec adresse ces deux dernières inventions, produit une machine métis, plus parfaite que les deux autres, et dont le travail délicat mettra au défi les plus adroites fileuses de l’Indostan, machine à laquelle sa double origine valut le nom de Mule-Jeanne ou Mull-Jenny. »

Enfin, toutes ces découvertes sont couronnées par l’invention de la machine à vapeur, due à l’illustre Watt, et qui donne aux mécaniques un moteur capable de décupler leur force productive. Ce fut en 1769 que Watt commença à fabriquer sa machine, en grand. Toutefois, ce ne fut qu’en 1785, selon M. Porter, que le premier moteur appliqué au moulin à coton fut construit par ce mécanicien, et monté à Papplewick, dans le comté de Nottingham.

Les résultats de ces inventions ont été si souvent rapportés, qu’il serait superflu d’insister à cet égard. On sait quel immense développement elles ont donné, en Angleterre, à l’industrie si nouvelle des cotonnades, et quoique depuis lors cette industrie se soit communiquée de proche en proche à tous les pays de l’Europe, à mesure que les procédés anglais y ont été connus, l’impulsion vigoureuse qu’elle avait reçue en Angleterre ne s’est pas ralentie. Ainsi, en 1790, l’exportation en fils et tissus de coton ne se montait encore qu’à une valeur totale de 41,892,000 francs ; en 1800, elle s’élevait déjà à 136,244,000 francs, et, en 1835, elle n’allait pas à moins (valeur déclarée) de 553,300,000 francs. Si l’on ajoute à cela les valeurs consommées à l’intérieur, on comprendra que ces valeurs réunies forment un chiffre effrayant.

Mais un fait qui ne doit pas échapper à nos remarques, c’est le changement de position que ces découvertes ont opéré entre l’Inde et l’Angleterre. L’Inde, ce pays d’origine, qui avait autrefois le privilége d’approvisionner l’Europe de ses cotonnades, les reçoit de l’Angleterre à son tour. Depuis long-temps, les foulards de coton fabriqués à Glasgow ont remplacé les foulards indiens, et se vendent en grande quantité, qui le croirait ! aux Indes même et à la Chine. À Calcutta, dans cette ville qui a donné son nom au calicot, les boutiques sont garnies de calicots de fabrique anglaise ; et tout cela, quoique l’Inde ait encore aujourd’hui la matière première sous sa main, et que la main-d’œuvre y soit sept fois moins chère qu’en Angleterre tant il est vrai que la mécanique se joue de tous les obstacles, et qu’il n’est point de si étonnante transformation qu’elle ne sache accomplir.

C’est ainsi que l’invention de quelques instrumens en apparence chétifs, et dont les trois quarts des hommes ignorent encore le nom, est devenue pour l’Angleterre une source inépuisable de richesses et l’un des fondemens actuels de sa puissance.

De tels progrès réalisés dans l’industrie du coton éveillèrent de bonne heure l’idée et firent naître l’espoir d’en obtenir de semblables dans l’industrie du lin. À peine donc cette première révolution était-elle déterminée, que les es-