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l’époque des luttes politiques, pour ouvrir celle des intrigues personnelles. Je n’entends pas certes condamner légèrement des mesures que les évènemens pouvaient faire juger nécessaires. Lorsqu’un pouvoir se voit en face d’un imminent danger, il est difficile de lui refuser ce qu’il réclame comme condition de sa sûreté en arguant pour l’avenir d’inconvéniens éventuels. Il faut une grande modération et une immense confiance en soi-même pour ne pas courir au plus pressé entre un péril actuel et un péril éloigné ; cette double qualité n’appartient guère aux assemblées délibérantes, elle appartient bien moins encore aux gouvernemens qui hésitent à engager à ce point leur propre responsabilité. Je ne blâme donc pas des dispositions auxquelles on semblait se trouver conduit par la grandeur et l’entraînement même des circonstances, mais je constate un résultat qui n’échappe à personne, et que quelque pénétration permettait peut être de prévoir.

À partir de ce moment, les difficultés politiques qui rendaient en force au pouvoir ce qu’elles semblaient lui ôter en sécurité matérielle, ont fait place à ces embarras sans nom et sans cause, d’où sortent ces longues crises qu’il faut plutôt appeler ministérielles que politiques. Les hommes, n’étant plus contenus par les évènemens, suivent le cours de leurs inclinations naturelles ; toutes les agglomérations se dissolvent, et les pensées s’individualisent comme les espérances. Les coteries remplacent les partis ; elles se forment, se brouillent, se raccommodent et se séparent avec une telle prestesse, qu’elles mettraient en défaut l’historiographe le plus délié.

La presse, contenue dans de plus sévères limites, a pris, à sa manière, l’esprit gouvernemental qu’on s’est attaché à lui donner. Un certain nombre de ses organes ont passé, armes et bagage, au service des ambitions parlementaires, rabaissant aujourd’hui celui-ci, demain grandissant celui-là, proclamant tel homme impossible, tel autre indispensable. Elle élève entre les aspirans aux portefeuilles des incompatibilités souvent gratuites, mais qui finissent par devenir insurmontables ; elle suppose des trahisons, colporte des ouvertures, flatte, menace, et fait si bien, que les associations les plus naturelles finissent par devenir les plus impossibles. Réduits à puiser en eux mêmes toute leur force, et ne concentrant plus dans leur personne celle d’une grande opinion extérieure, les hommes politiques se trouvent amenés à chercher leur principal point d’appui dans ce pouvoir excentrique, qui n’effraie plus par sa violence la bourgeoisie électorale, et dont la souple habileté a bien vite badigeonné les per-