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nète. Il a pris, dans ce cas, un nom d’individu pour un nom de race. Cicéron et Quintilien n’en savaient pas plus que Pline sur les origines de l’art grec. C’est Pausanias qui nous a conservé les seuls souvenirs importans qui fixent directement la valeur du style éginétique ; et la mention qu’il en fait est d’autant plus à considérer qu’il vivait dans un temps où les livres des écrivains d’Athènes formaient le fonds de l’éducation, et où les esprits éblouis par la beauté de l’art postérieur n’accordaient plus une attention suffisante à tout ce qui avait précédé Phidias.

Non-seulement Pausanias nomme plusieurs sculpteurs éginètes, mais il parle d’une manière qui leur est propre et dont il retrouve des modèles dans les statues répandues çà et là dans la Grèce. C’est ainsi que dans le temple de Diane Limnotide, sur les confins de l’Arcadie et de la Laconie, il admire une statue en bois d’ébène, « ouvrage, dit-il, dans le style connu sous le nom d’éginétique ; » au pied du Parnasse, à Ambrysse, il rencontre une statue en marbre noir, encore dans le même style. Ce rapprochement est curieux. On voit que les statuaires éginètes étaient si scrupuleux imitateurs des traditions, que lorsque l’usage de sculpter en marbre fut répandu dans toute la Grèce, ils employèrent l’espèce de marbre qui par sa couleur rappelait le plus leurs anciens ouvrages de bois. Du reste, le second fait noté par Pausanias est contraire à l’assertion de M. Mueller, qui présume que le style éginétique ne fut peut-être point appliqué au marbre. Mais le témoignage le plus complet que le voyageur grec nous ait donné au sujet de ce style, est une phrase qui équivaut presque à une définition. En parlant d’une statue d’Hercule qu’il a vue à Érythres, en Ionie, il dit : « Elle ne ressemble ni aux ouvrages qui portent le nom d’Égine, ni à ceux de la plus ancienne école attique ; elle est plutôt dans le style égyptien que dans tout autre ; elle fut apportée de Tyr en Phénicie, sur un radeau. » Ces mots suffisent pour constater que le style éginétique a des rapports éloignés avec l’art égyptien, et des rapports plus voisins avec l’ancien art attique, qui est cependant tout-à-fait indépendant du premier et distinct du second. Dans ces mots je crois lire aussi la condamnation de deux opinions avancées par M. Mueller.

Le savant professeur de Gœttingue pose comme une vérité incontestable que le propre des ouvrages attiques de l’école de Dédale est le changement, et que le caractère de l’école éginétique de Smilis est l’identité. Si on admettait cette proposition, comment pourrait-on concevoir l’intime rapport que Pausanias établit entre la manière