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LES MARBRES D’ÉGINE.

la troisième, qui fixe d’une manière ingénieuse et définitive la signification du fronton postérieur du Parthénon, ne nous occuperont point ici. La seconde a pour objet de déterminer la valeur de l’œuvre de Phidias ; c’est à celle-ci que nous oserons nous attaquer pour la contredire sur quelques points, pour essayer de la compléter sur quelques autres.

M. Otfried Mueller admet dans cette dissertation plusieurs faits qui me paraissent en contradiction avec quelques-unes des conclusions de son livre sur Égine. Ainsi, par exemple, il affirme que le génie de Phidias a fait franchir d’un seul bond un intervalle immense à l’art athénien, et l’a délivré de la raideur et de l’immobilité qui l’avaient jusqu’alors entravé, pour lui donner une vie nouvelle par l’imitation de la nature. Le savant professeur de Gœttingue pourrait-il concilier cette opinion avec celle qu’il a émise lorsqu’il a dit que contrairement à l’art éginétique, l’art athénien avait pour principe une entière liberté ? L’influence incontestée de l’Égypte sur la primitive civilisation d’Athènes nous faisait déjà douter de la vérité de cette hypothèse. Les preuves que M. Mueller apporte pour attribuer à Phidias l’introduction instantanée du mouvement dans la sculpture athénienne nous confirment dans notre pensée. Le mouvement et l’imitation n’étaient point naturels à l’art attique ; ils lui ont été apportés par des statuaires d’une autre race. Seulement, nous ne pensons pas, comme M. Mueller tendrait à le faire croire, que Phidias ait été, parmi les Athéniens, le premier élève de ces artistes étrangers à l’Attique ; les sculpteurs inconnus qui ont travaillé, sous Cimon, au temple de Thésée, avaient introduit, avant-lui, à Athènes, la discipline exotique, et ceux-ci doivent être comptés comme formant les anneaux intermédiaires de la chaîne qui lie l’ancienne école attique à la nouvelle école athénienne, destinée à diriger désormais le goût de la Grèce.

M. Mueller en convient, Athènes n’a jamais eu l’initiative des grandes inventions de l’esprit grec ; mais elle les a toutes poussées à leur plus haut point de perfection. Ainsi les tréteaux sur lesquels la tragédie a pris naissance, s’étaient long-temps promenés dans le Péloponèse avant d’arriver dans l’Attique ; mais lorsqu’ils eurent touché ce sol où tout prenait une forme naturelle de majesté et d’élégance, ils se changèrent en théâtres sur lesquels Eschyle fit bientôt entendre des accens que ne connut aucune autre littérature de la Grèce. Il faut appliquer à Phidias ce que nous disons d’Eschyle. Sans doute le ciseau de cet artiste immortel fit des emprunts considé-