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LÉLIA.

inquiet est le seul mobile qui te gouverne encore, et qui te pousse à chercher une chétive pâture, sans discernement et sans force, sur un sol épuisé par tes ignares labeurs, par tes bras lourds et malhabiles, que la faim seule met encore en mouvement comme les marteaux d’une machine. Va broyer la pierre des chemins, moins endurcie que ton cerveau, pour que mes nobles chevaux ne s’écorchent pas les pieds dans leur course orgueilleuse ! Va ensemencer le sillon limoneux, afin qu’un pur froment nourrisse mes chiens, et que leurs restes soient mendiés avec convoitise par tes enfans affamés ! Va, race infirme et dégradée, chéris la vermine qui te ronge ! végète comme l’herbe infecte des marécages ! traîne-toi sur le ventre comme le ver dans la fange ! Et toi, soleil, ne te montre pas à ces reptiles indignes de te contempler ! Nuages de sang qui vous déchirez à son approche, roulez vos plis comme un linceul sur sa face rayonnante, et répandez-vous sur la terre d’Égypte jusqu’à ce que ce peuple abject ait fait pénitence et lavé la souillure de son esclavage.

Mon jeune amant, tu ne me réponds pas, tu ne m’écoutes pas ? Ton front repose enfoncé dans un chevet moelleux. Crains-tu de me montrer des larmes généreuses ? Pleures-tu sur cette hideuse journée qui commence, sur cette race avilie qui s’éveille ? Rêves-tu de carnage et de délivrance ? gémis-tu de douleur et de colère ? — Tu dors ? Ta chevelure est mouillée de sueur, tes épaules mollissent sous les fatigues de l’amour. Une langueur ineffable accable tes membres et ta pensée… N’as-tu donc d’ardeur et de force que pour le plaisir ? — Quoi ! tu dors ? La volupté suffit donc à ta jeunesse, et tu n’as pas d’autre passion que celle des femmes ? Étrange jeunesse, qui ne sais ni dans quel monde, ni dans quel siècle le destin t’a jetée ! Tout ton passé est ambition, tout ton présent jouissance, tout ton avenir impunité. Eh bien ! si tu as tant d’insouciance et de mépris pour le malheur d’autrui, donne-moi donc un peu de cette lâcheté froide. Que toute la force de nos ames, que toute l’ardeur de notre sang tourne à l’âpreté de nos délires. Allons ! ouvrons nos bras et fermons nos cœurs ! abaissons les rideaux entre le jour et notre joie honteuse ! Rêvons sous l’influence d’une lascive chaleur le doux climat de la Grèce, et les voluptés antiques, et la débauche païenne ! Que le faible, le pauvre, l’opprimé, le simple, suent et souffrent pour manger un pain noir trempé de larmes ; nous, nous vivrons dans l’orgie, et le bruit de nos plaisirs étouffera leurs plaintes ! Que les saints crient dans le désert, que les prophètes reviennent se faire lapider, que les Juifs remettent le Christ en croix, vivons !