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vérité. Une philosophie nouvelle, une foi plus pure et plus éclairée va se lever à l’horizon. Nous n’en saluons que l’aube incertaine et pâle ; mais les lumières et les inspirations qui font la vie de l’humanité, ne manqueront pas plus à l’avenir des générations que le soleil ne manque chaque matin à la terre endormie et plongée dans les ténèbres. »

L’ame ardente de Lélia ne pouvait s’ouvrir à ces espérances lointaines. Elle n’avait jamais su s’accommoder des promesses de l’avenir, à moins qu’elle ne sentît l’action qui doit produire ces choses agir sur elle ou émaner d’elle. Son cœur avait d’infinis besoins et il allait s’éteindre sans en avoir satisfait aucun. Il eût fallu à cette immense douleur l’immense consolation de la certitude. Elle eût pardonné au ciel de l’avoir frustrée de tout bonheur, si elle eût pu lire clairement dans les destins de l’humanité future quelque chose de mieux que ce qu’elle avait eu elle-même en partage.

Une nuit, Trenmor la rencontra sur le sommet de la montagne. Il faisait un temps affreux, la pluie coulait par torrens, le vent mugissait dans la forêt, et les arbres craquaient autour d’elle. De pâles éclairs sillonnaient les nuages. Trenmor l’avait laissée dans sa cellule, si épuisée et si faible, qu’il avait craint de ne pas la retrouver vivante le lendemain. En la rencontrant ainsi errante sur les rochers glissans, et toute baignée de l’écume des torrens qui se formaient et grossissaient autour d’elle, Trenmor crut voir son spectre, et il l’invoqua comme un pur esprit ; mais elle lui prit la main, et, l’attirant vers elle, elle lui parla ainsi d’une voix forte et l’œil enflammé d’un feu sombre :

DÉLIRE.

Il est des heures dans la nuit où je me sens accablée d’une épouvantable douleur. D’abord c’est une tristesse vague, un malaise inexprimable. La nature tout entière pèse sur moi, et je me traîne, brisée, fléchissant sous le fardeau de la vie comme un nain qui serait forcé de porter un géant. Dans ces momens-là, j’ai besoin d’expansion, j’ai besoin de soulagement, et je voudrais embrasser l’univers dans une effusion filiale et fraternelle ; mais il semble que l’univers me repousse tout à coup, et qu’il se tourne vers moi pour m’écraser, comme si moi, atome, j’insultais l’univers en l’appelant à moi. Alors l’élan poétique et tendre tourne en moi à l’effroi et au reproche. Je hais l’éternelle beauté des étoiles, et la splendeur des choses qui nourrissent mes contemplations ordinaires ne me paraît plus que l’implacable indifférence de la puissance pour la faiblesse. Je suis en