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REVUE. — CHRONIQUE.

que s’opposer au protectorat à main armée de la Russie sur Constantinople. Elle a débuté par une excessive modération, puisqu’elle a commencé par manifester le désir d’un congrès européen, d’où devait sortir pour l’Orient une sorte de patronage commun et solidaire. Le congrès est devenu impossible par le fait de la Russie, qui ne veut pas reconnaître à l’Europe un droit de haute médiation sur ce qu’elle convoite. Pour notre part, nous ne regrettons pas ce champ-clos diplomatique, où aurait couru risque de s’annuler l’influence française. Seule ou ne marchant qu’avec l’Angleterre, la France sera plus libre, plus maîtresse de ses mouvemens ; elle pourra mieux faire prévaloir, là où elle le voudra, son poids et sa force. Nous ne saurions penser que le choix du nouvel ambassadeur soit un acte de complaisance envers l’Angleterre. M. de Pontois a été préféré à M. de Bois-Le-Comte, non parce qu’il était agréable au cabinet anglais, que probablement nos ministres ne consultent pas sur la nomination de nos agens, mais peut-être parce qu’il n’avait pas eu l’occasion de se montrer aussi vif que le diplomate distingué qui a combattu à Lisbonne la politique anglaise. Nous ne devons pas plus blesser l’Angleterre que la flatter et la suivre aveuglément. C’est toujours notre alliée ; et nous ne devons nous en éloigner que si ses prétentions blessent la justice ou nos intérêts.

Il faut convenir que si l’antique Orient a eu la réputation d’être immobile, il a bien changé de nos jours. D’un instant à l’autre, la scène politique y varie : les évènemens s’y succèdent, les situations s’y transforment avec une singulière rapidité. D’abord on a cru que tout se terminerait entre Constantinople et Alexandrie par le consentement de la Porte, qui accordait à Méhémet-Ali l’hérédité des deux gouvernemens d’Égypte et de Syrie. Puis les cinq grandes puissances ont demandé au divan de leur confier le soin de traiter avec le vice-roi. Un aide-de-camp de l’amiral Roussin a été dépêché au pacha pour lui faire connaître l’adhésion de la Porte à cet arbitrage européen. Enfin aujourd’hui, plus d’accord, plus d’arbitrage ; l’amiral Roussin est rappelé ; toutes les apparences, tous les commencemens de pacification font place à des symptômes, à des appréhensions de guerre. La Russie, qui a rompu brusquement, après quelques momens de dissimulation, les entraves diplomatiques dont on avait voulu l’embarrasser, ne va-t-elle pas travailler à irriter Méhémet-Ali, à le pousser contre l’empire ottoman, qu’elle brûle de défendre ? Ne s’attachera-t-elle pas à compliquer les négociations, à envenimer les difficultés de manière à ce que la Porte cherche un refuge dans le renouvellement du traité d’Unkiar-Skelessi, qui expire dans un an ? De son côté, l’Angleterre, sous le prétexte de sauver et de venger la légitimité ottomane, ne voudra-t-elle pas donner cours à ses ressentimens contre Méhémet-Ali, briser la puissance égyptienne, qui lui fait obstacle en Syrie, en Arabie, effacer enfin cette nouvelle individualité orientale, qui ne se prête pas d’une manière assez souple à toutes ses ambitions de négoce et de commerce ? Enfin Méhémet-Ali, que fera-t-il ? quelle sera sa modération ? quelle sera sa puissance ? Trouvera-t-il dans la France un appui assez décisif pour se défendre avec avantage contre la malveillance russe et anglaise, et garder le fruit légitime de tant de travaux et d’une victoire ré-